Souvenez-vous de Psychose (Alfred Hitchcock) : Marion Crane échoue dans le motel de Norman Bates après avoir commis un vol d’argent. « La Porte de Géhenne », premier tome de la série Le Manoir Sheridan, place son héros dans une situation analogue : Daniel, en fuite après avoir volé la caisse d’un magasin, est englouti dans les eaux gelées d’un lac, puis secouru par le colossal Mickhaï, majordome d’Angus Mac Mahon. Recueilli par ce dernier dans son immense manoir, Daniel découvre peu à peu les secrets inavouables qu’abritent les lieux.


Le Québec de 1922 tel que portraituré par Jacques Lamontagne et Ma Yi ne se révèle qu’avec parcimonie : ce sont des plaines enneigées, un manoir isolé, un village tout ce qu’il y a de plus ordinaire… Là où « La Porte de Géhenne » se montre plus engageant, c’est dans son imagerie fantastique très burtonienne, où foisonnent des monstres ineffables et un univers occulte en pleine décrépitude. L’altération que subit le monde réel dans son pendant surnaturel rappelle d’ailleurs Coraline, le long métrage d’animation en volume d’Henry Selick.


Soigné par un vétérinaire, cloué sur une chaise roulante, en convalescence dans un manoir labyrinthique, Daniel voit Angus Mac Mahon s’épancher sur son passé et la manière dont la fortune familiale fut dilapidée en investissements infructueux. Le jeune héros apprend par ailleurs en visitant une aile lui étant normalement interdite que la nièce du maître des lieux y est plongée dans un état léthargique. Édana demeure en effet immobile et silencieuse depuis la mort de son père Zephan. En explorant à l’aide de flashbacks l’enfance de Daniel, on comprend mieux pourquoi ce dernier s’identifie et s’attache à cette jeune femme dont la vie se résume désormais à son caractère physiologique.


Au cours du récit, plutôt conventionnel, certains éléments sont dévoilés (sur Zephan, sa disparition et les incroyables possibilités offertes par l’occultisme), tandis que d’autres se nappent de mystère (sur la mort prétendue d’un médecin, sur un puit…). Se développent surtout une histoire d’amour impossible et un discours plus général sur la nature humaine, capable des pires atrocités par égoïsme et/ou mégalomanie. Au service d’une histoire où le fantastique s’invite graduellement, le trait de crayon de Ma Yi, bien que soigné et efficace, manque à nos yeux de ce soupçon de fantaisie dont la couverture semblait formuler la promesse.


Le Manoir Sheridan : La Porte de Géhenne est une lecture plaisante, mais qui pèche précisément là où elle aurait dû tirer sa force : dans son originalité et son inventivité. Trop corseté dans sa narration, pas assez ample dans ses enjeux, l’album apparaît finalement solide, mais quelque peu convenu. On est toutefois curieux de voir comment Jacques Lamontagne et Ma Yi vont refermer ce diptyque aux interrogations encore nombreuses.


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Cultural_Mind
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le 20 juin 2021

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