Ancien chercheur en sciences cognitives et en philosophie, mais aussi taquineur du crayon, Alessandro Pignocchi est ce qu’on pourrait appeler un anthropologue dessinateur, ou l’inverse. Dans Anent. Nouvelles des Indiens Jivaros (2016) il racontait ses périples au sein de la forêt amazonienne auprès des populations locales.
Dans La recomposition des mondes, il s’agit d’une immersion dans la vie de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, et plus particulièrement lors des opérations de démantèlement de 2018. Il s’agit de faire parler les gens qui y vivent, pour révéler leur présence sur le lieu et mieux nous la faire comprendre.
Car il faut bien reconnaître un certain déficit d’informations devant la situation de cet endroit. C’est bien plus qu’un projet d’aéroport à combattre qui s’y est joué, c’est un projet de vie qui s’y est crée et perdure. L’auteur nous évoque ainsi un rapport à la nature différent, loin de la sujétion habituelle, mais bien dans un sens de complémentarité. La nature n’existe pas selon Alessando, c’est un concept crée par l’homme pour lui opposer la culture. C’est un thème qui lui est cher et qu’il apprécie de retrouver (au moins en partie) dans ce rassemblement.
Ces rassemblement humains créent une nouvelle forme d’humanité, dans son rapport au monde qui l’entoure mais aussi dans les hommes qui le composent. Les relations se construisent sur de nouveaux principes de solidarité, l’erreur est permise, et elle doit arriver pour apprendre. Les constructions se font dans l’ignorance ou le rejet des habituelles règles ou normes, permettant de nouvelles approches. C’est aussi un monde où l’homme s’emploie dans de nouvelles tâches, apprenant sans relâche, l’agriculture est reine, l’élevage est présent, et le système de troc permet de compenser les faiblesses de chacun. D’autres personnes plus scientifiques étudient même tout ça avec une certaine curiosité.
Évoquer une communauté de hippies ou de militants d’extrême-gauche serait d’ailleurs une erreur, tant c’est bien plus compliqué que ça, bien plus cosmopolite, en plus d’être un des arguments des détracteurs bien pratique pour dévaloriser ces rassemblements.
Il faut d’ailleurs reconnaître à toutes ces personnes impliquées une persévérance incroyable dans cette vie qu’ils ont choisi, avec tous les renoncements qu’ils ont dû accepter. Mais elle se fait aussi dans le front qui cherche à contrer les destructeurs CRS, tentant même de les éduquer, puis dans la reconstruction ce qu’ils peuvent le jour suivant après les démantèlements des habitations.
L’auteur est évidemment parti pris. Même s’il s’est retrouvé sur le tard dans ces lieux, on sent que ses sensibilités s’y retrouvent. Il participe à sa manière pour défendre pas seulement un lieu mais aussi une utopie, gageant que le futur se basera dessus, sur les idées et les essais pratiques de cette nouvelle écosociété. Son optimisme sera peut-être contredit, hélas.
La construction de l’auteur ne manque pas de surprises, faisant des allers-retours dans le temps, faisant parler certains personnages, à l’image d’un CRS à qui l’auteur tente d’expliquer autour d’une boisson le véritable but de cette nouvelle société. Certains faits précédents sont abordés, quelques sujets sont présents, mais il faudra creuser le sujet ailleurs. La lecture est simple et agréable, immergée mais aussi avec sa petite fantaisie.
C’est tout à l’honneur de cette bande dessinée de lever le voile d’un sujet de société qui a fait quelques gros titres mais qui se révèle affreusement mal connu. Un autre monde est possible, mais il faut le construire, il faut l’échafauder, se planter, rater et réussir. Ce que ne peut pas accepter les gouvernements qui se succèdent, garants d’un maintien de l’ordre qui les arrange. L’album d’Alessandro Pignocchi est immergé dans cette société, il lui manque peut-être du recul, mais il est terriblement instructif. Ses illustrations à l’aquarelle rehaussés de traits à l’encre ne manquent d’ailleurs pas de charme. On pourra lui reprocher la simplicité de ses personnages, mais pas la beauté de cette nature qu’il illustre et qu’il faut défendre.