Le titre, le sujet, les dessins, tout ici transpire le manga shojo, spécial filles.
C’est presque écoeurant de guimauve et je comprends que ça en éloigne plus d’un, mais un peu de rose ça colore agréablement la vie mine de rien.

Une fois l’obstacle du marquage “special filles” supporté, on ne peut que saluer cette fresque qui romance une partie cruciale, mouvementée et passionnante de l’histoire de france: les dernières années de la monarchie et la révolution.

Le premier tome commence avec faste par l’arrivée de la jeune Marie-Antoinette en France. On découvre avec elle Versailles et sa cour, les intrigues qui émaillent la vie au chateau, Louis XV et sa maitresse, les luttes de pouvoir entre courtisans, la pesante étiquette, et tout le décorum qui fait de la cour française sa réputation et sa faiblesse.
C’est plein de belles toilettes, la pure Marie Antoinette est coincée dans son rôle de dauphine trop respectueuse de la morale, entre son inexistant mari et la jungle qu'est la cour. Bref on la comprend cette gamine qui ne rêve que d’un peu de tranquillité et passe son temps à contenter ses amis en dépensant à outrance.
On la comprend et on a mal pour elle parce qu’on sait combien l’adolescence est un moment difficile, combien il doit être dur de se retrouver parachutée dans cette faune étrangère qu’est Versailles, et surtout combien elle va devoir payer ses excès de petite fille gâtée.

On traverse l’Histoire à travers le récit complètement fantasmé de la vie d’une femme qui serait devenue général de la garde royale: Oscar est une fille magnifique, élevée comme un garçon, droite comme un i, juste en toutes circonstances, et parfois tellement faible quand elle est ratrapée par des sentiments très féminins qu'on ne peut que s'attacher à elle.
C’est un personnage hyper charismatique, qui donne à l’histoire une trame supplémentaire, si bien qu’on ne sait plus qui de Marie-Antoinette ou d’Oscar tient le rôle principal.
Le seul reproche qu’on pourrait faire à l’auteur, c’est de trop jouer avec son personnage androgyne: Oscar a quand même droit à énormément de scènes dans lesquelles son comportement peut sembler suspect: on la voit embrasser ou séduire une flopée de soupirantes (alors que presque tout le monde sait que c’est une femme). Elle cultive en permanence l’ambiguité, parlant souvent d’elle-même au masculin (mais ça je ne sais pas si c’est dans le texte de base ou si c’est la traduction qui l’a ajouté)

Elle est désirée de tous, aussi bien des hommes que des femmes qui tombent tous sous son charme, c’est gentil mais c’est un peu trop pour moi de temps en temps (et ça nous rappelle s’il en était besoin qu’on est bien dans un vrai shojo). Même les enfants s’y mettent (le “j’aurai pu être reine de france” d’oscar m’a achevée)
D’accord Oscar est admirable, nous aussi on l’aime, mais quand même faut pas abuser non plus.
Cette tendance à la sur-admiration pour Oscar empire dans le second tome qui aurait gagné en efficacité sans se leitmotiv.

*** critique à caractère spoilesque à partir de maintenant ***

Dans le premier tome, l’intrigue “amoureuse” se joue entre la reine et Fersen, où l’on nous vante droiture des deux qui tentent de résister à leur attirance pécheresse, les tentatives d’Oscar pour les y aider, l’attirance d’oscar pour Fersen, et surtout l’amour du gentil valet André pour Oscar (les feux de l’amour se sont invités à Versailles).
D’ailleurs c’est drôle, andré a droit d’entrer partout comme il le souhaite, juste parce qu’il suit sa maitresse (c’est très pratique niveau scénario).
Le second tome est beaucoup plus fouilli que le premier: surtout parce qu’historiquement les évènements se succèdent à une vitesse folle, que politiquement les divers courants de la révolution sont d’une complexité sans nom.
Forcément c’est difficile d’essayer de coller avec l’histoire en gardant le côté fluide et léger de l’oeuvre.
Et justement les intrigues du manga deviennent aussi un peu plus sombres.
Plus la révolution avance et plus Oscar se retrouve du côté des révolutionnaires, elle n’est pas éclaboussée en même temps que Marie Antoinette, ça tombe bien ce changement de camp, parce que c’est fait progressivement, qu’on ne nous présente pas les révolutionnaires comme de vulgaires casseurs de monarchie, et ça nous permet d’avoir un semblant de vue globale sur le conflit, on évite le manichéisme des nobles tous pourris contre le bon peuple affamé (même si globalement l’idée est là, étant donné que les monarques et certains nobles sont des personnages “gentils”, la balance s’équilibre un peu.
La réussite de l’auteur c’est d’arriver à nous faire rêver avec le premier tome fastueux, et à nous faire gouter la liberté de la révolution ensuite, sans oublier que tout changement se fait dans la souffrance.

Au milieu de tout ça et histoire de rendre le tableau un peu moins noir, Oscar va se rendre compte un peu par hasard qu’en fait elle tient à André, qu’il ne lui reste que peu de temps à vivre, que les nobles sont finis, les privilèges aussi; que dans tous les cas elle n’a plus grand chose à perdre.
Du coup à la veille du 14 juillet le pré-feu d’artifice est lancé avec les ébats de nos deux tourtereaux.
C’est beau, c’est rose, c’est mollasson comparé au bouillonnement ambiant, et c’est vite contre balancé par la bataille du lendemain.
Et là l‘auteur a décidé de nous faire pleurer: elle n’hésite pas: quitte à tuer la monarchie, autant en profiter et tuer tous les personnages principaux, la fête est plus folle. (on se doutait bien que ça allait mal se terminer parce qu’avant de mourir au combats ils étaient déjà bien malade nos jeunots, mais là ils ont droit à une vraie mort de soldats, ça permet d’éviter de se retrouver dans le tourbillon qui suit la prise de la bastille, c’est pas plus mal.
ça rend le manga absolument inoubliable.

Une fois terminé, on se rue sur tout ce qu’on peut trouver dans l’histoire qui colle au manga, on vérifie certains faits, et forcément étant donné qu’Oscar est un personnage fictif, on se rabat sur les autres figures du récit, Marie-Antoinette en tête (et passer en tête pour la reine décapitée c’est un comble non?)

Ce manga aura donc eu le double avantage de nous faire passer un bon moment tout en permettant de réviser l'histoire de France, ou au moins de donner envie d'en savoir plus.
C'est exactement ce que j'attends d'une oeuvre historisante.
iori
9
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le 29 juil. 2013

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iori

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