Voici un film qui illustre parfaitement une certaine idée du cinéma, celle qui permet à des orfèvres de s’emparer de sujets politiques difficiles, abscons et d’en donner une interprétation qui permet au spectateur d’alimenter sa réflexion.
Costa-Gavras prend le pari dans Adults in the room de traiter d’une période charnière pour la Grèce et l’Europe en choisissant la voie difficile: celle des tractations politiques.
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Il suffira de quelques images ou répliques pour rappeler de temps à autre que ce qui se joue dans des bureaux vitrés ou des salles de réunion concerne un peuple qui subit directement la politique d’austérité qu’on lui impose et des années d’accumulation d’une dette devenue impossible à résorber. De brèves allusions au peuple alors que c’est lui la base et la finalité de la démocratie.
Le talent de conteur du réalisateur parcourt le film de bout en bout: en débutant avec l’avènement de Syriza, un moment de liesse et d’espoir vite refroidi par une incursion 5 mois plus tard, avec la démission d’un ministre des finances désabusé.
En quelques minutes les deux pôles du film sont posés, deux dialogues nous ont permis de comprendre que le passage du discours de campagne à l’exécution du pouvoir est déjà une épreuve qui en annonce d’autres et prépare aux désillusions.
Très vite, la musique va donner au récit des airs de farandole un peu folle, va faire passer la tournée des ministères pour une farce où chacun joue sa partition, pour trouver son apogée dans les réunions de l’Europgroup et leur faux rythme de deux pas en avant, trois en arrière..
Le réalisateur maîtrise l’art de raconter, mais aussi de rendre le dynamisme et la tension des échanges, en s’appuyant une connaissance pointue des circonvolutions diplomatiques.
La dynamique des échanges, des avancées, des retours en arrières, des déconvenues, tout cela est passionnant et on ne ressent quasiment pas les 120 minutes du film (sauf sur le dernier quart d’heure peut-être).
L’ensemble est passionnant à plus d’un titre: d’abord parce que même s’il se passait dans un autre contexte, cette lutte du petit pauvre pour continuer d’exister face à ceux qui font mine de l’aider tout en l’enfonçant davantage est une belle base, de celles dont on fait les meilleurs contes.
Sauf que nous sommes dans la réalité, et ça donne encore plus d’impact à ce qu’on voit.
C’est peut-être là aussi la faiblesse du film: en partant du témoignage de Yannis Varoufavis et en en faisant le personnage central, le propos est forcément orienté et ne peut rendre compte que d’une partie des discussions. Il faut bien choisir un angle et il serait sans doute impossible d’englober la totalité des enjeux, même dans une thèse.
L’intérêt est ailleurs, dans ce que montre le film de la vie politique: la façon dont se décide le sort de l’Europe, la manière dont les négociations peuvent sembler aboutir puis échouer, l’impossibilité d’obtenir de bons accords alors que chacun défend un intérêt propre, le pragmatisme qui pourrait permettre de sortir de l’impasse.
Faut-il mieux un mauvais accord que pas d’accord du tout?
Et au fond comment s’exprime la démocratie? Comment jongler entre le programme sur lequel on a été élu et l’impossibilité de le mettre en oeuvre? A partir de quand on considère qu’on trahi le peuple? Est-ce que seulement on s’en rend compte? Est-ce qu’à force de négocier entre “membres du club” on ne perd pas de vue le principal? Est-ce qu’on en vient forcément à se comporter comme des enfants dans une cour de récré?
L’impact est encore plus fort si on est européen, parce que ça parle de nous, de notre rapport à l’Europe, de la manière dont le pays qui a vu naitre la philosophie, la démocratie et même le mot Europe pourrait en être exclus, et ça nous renvoie forcément aux discussions actuelles sur le brexit.
Le tout donne surtout soif: de se replonger dans l’histoire de la construction européenne, de la vie des institutions, des forces en présence, des crises rencontrées, de la façon de les gérer, de voir l’impact sur les populations, de dresser un état des lieux.
Tout cela est passionnant, mais on se sent surtout petit devant tout ce qu’on ne voit pas, tout ce qu’on ne comprend pas, et on imagine bien que très peu de personnes peuvent avoir une vision globale de tous les enjeux.
Adults in the room ne donne peut être pas envie sur le papier, mais une fois qu’on est plongés dedans il semble évident, nécessaire, et nous rappelle à quel point il est important que ce genre de film puisse voir le jour: pas parce qu’il détiendrait une vérité absolue, mais surtout parce qu’il permet de se poser des questions. C’est le genre de film dont on ne ressort pas indemne, qu’on trainera quelques temps avec nous et qui sera toujours un petit peu là quand on devra penser à l’exercice du pouvoir ou à l’art de négocier.