Depuis fin 2022, Bastien Vivès, alors un des petits chouchous de la scène française de la bédé, plusieurs fois primé, plusieurs fois adapté sur les écrans, est visé par plusieurs plaintes. Il lui est ainsi reproché la « diffusion d’images pédopornographiques, incitation à la commission d’agressions sexuelles sur mineurs et diffusion à un mineur de messages violents. » Pas glop.

L’auteur, qui s’était illustré avec son blog BD et ses recueils humoristiques, ses romans graphiques et ses œuvres érotiques, a pourtant vu toute sa légitimité remise en question par ses représentations d’amours incestueux et à la différence d’âge manifeste. Des illustrations toujours dictées par des scénarios farfelus et fantaisistes, mais qu’importe, Bastien Vivès est accusé d’avoir franchi une ligne rouge. Toutes ses interviews, ses interventions sur internet, ses précédentes œuvres sont alors scrutées pour en ressortir les déclarations intolérantes voire violentes, les mauvaises plaisanteries, les amitiés suspectes, etc. Tout ce qui pourrait ainsi être à charge dans cette « affaire Vivès » est déterré, et il y a effectivement de vieux squelettes pas jojos, afin d’orchestrer la censure qu’on voudrait lui appliquer. Une censure et une question juridique qui sont des sujets assez rares dans le monde de la bande dessinée de ces dernières années, entraînant d’autres questions.

On a beaucoup parlé de Bastien Vivès, ses détracteurs et ses soutiens se sont agités, beaucoup de commentaires ont été faits sur tout ce que cela pouvait avoir comme conséquences. Et l’auteur ? Il s’est fait discret, jusqu’à ce que cette fin d’année 2024 le remette sur le devant de la scène par ses moyens d’expression, le dessin. Une nouvelle série est annoncée chez Casterman, fidèle soutien, pour début 2025 et l’auteur participe à la nouvelle revue de BD, Charlotte (au passage, à lire et à soutenir). C’est au sein de la nouvelle maison d’édition Charlotte éditions qu’il publie cette fin d’année « La vérité sur l’affaire Vivès »

Un titre prometteur, qui laisserait supposer que Bastien Vivès réponde enfin à toutes ces allégations, à cette « affaire » contre lui, qu’il se justifie, qu’il explique, qu’il se défende ou au contraire s’excuse. Ce n’est pas vraiment la réponse attendue, l’auteur s’appuie dessus mais pour aller vers une autofiction loufoque, à la fois cynique et ironique, avec cette distance bien à lui que les lecteurs de ses recueils humoristiques connaissent bien.

Bastien Vivès se met ainsi en scène, lui et son couple, dans cette affaire aux nombreuses conséquences comme autant d’étapes en Absurdie. Il sera ainsi obligé de suivre un stage contre la pédophilie, où il sera le seul présent, un autre pour déconstruire la bande-dessinée avant de connaître un serrage de vis, une expérience dont il tirera une œuvre explicative et introspective sur ce qu’il subit, un gros roman graphique, mais dont bien sûr, nous les lecteurs ne connaîtront rien.

Parfois agacé, parfois observateur, d’autres fois commentateur ironique ou tout simplement obligé de subir ce qu’on lui demande car « accusé » et donc coupable, l’auteur joue avec cette situation et ce qu’elle implique. Il dresse un portrait d’une société tolérante jusqu’à l’absurde, à la rhétorique bien construite mais facilement détournable, pointant le doigt sur ses contradictions. Ses répliques dans le stage de déconstruction du stage de déconstruction de la bande-dessinée (oui oui) sont ainsi hilarantes, s’insérant dans les facilités de certains discours et autres commentaires sur la bande-dessinée.

Bastien Vivès aborde ainsi plusieurs points problématiques de notre époque, parfois en fonds, parfois qui seront le sujet de son œil ironique. Ce sont des sujets parfois « touchy », risqués, à ne pas prendre à la légère, des plus innocents aux « sensitive readers » ou aux sujets féminins dans la bande-dessinée aux plus épineux, comme le sujet des identités revendiquées, de la pédophilie évidemment ou de l’islamisme. A ce petit jeu du catalogue des sujets sensibles qui divisent la société, entre « wokes » et autres conservateurs, l’auteur est parfois férocement drôle, mais à certaines occasions a la poudre à gratter un peu trop facile. Au risque peut-être d’apparaître comme le nouveau tonton reac de la bédé ? Il ne faudrait pas que le contenu soit assimilé à un os à ranger pour une frange aux visions étriquées de la société, et qui ne comprendrait pas l’ironie de Bastien Vivès, même si plus inconstante dans sa réussite.

L’auteur ne commente ainsi pas son « affaire », ne ressent pas le besoin de s’expliquer, de revenir dessus. Il faut lui reconnaître qu’il n’a jamais été dans la production d’oeuvres personnelles et sensibles tournant autour du petit nombril si souvent exposé de certains auteurs de bande-dessinée. Mais sans se dévoiler ou se justifier, l’album laisse transparaître sa vision de cette société, qu’on ressent fatiguée par ses exagérations, ses rhétoriques et ses conséquences. Bastien Vivès semble exprimer le besoin de relativiser, que le véritable problème de la pédophilie n’est pas là. Il prend le parti d’en rire, et de faire rire, pour mieux en souligner à son tour les exagérations et autres discours caricaturaux. Il se met en scène en couple, avec des enfants et une femme aimante, parfois taquine et amusée par la situation, plus rarement embêtée, en tout cas jamais consciente que cela pourrait aller jusqu’au pire. Un bon père de famille, bien loin de certains portraits exprimés sur lui suite à l’exhumation de ses déclarations les plus polémiques. Une manière aussi de ramener un peu de normalité dans ce monde de fous qui constitue le cadre de ce livre.

« La Vérite sur l’affaire Vivès » n’est en tout cas pas là pour apaiser les polémiques, et l’oeuvre ajoute encore un peu d’huile sur le feu. Elle pointant l’absurdité de la situation, jusqu’à ironiser sur bien d’autres travers de la société, souvent drôles quand il s’agit du monde de la bande-dessinée, parfois un peu plus aléatoires quand l’auteur évoque des sujets plus importants. Au moins Bastien Vivès garde de sa capacité à égratigner par l’humour, par la polémique faussement innocente. Il en restera des traces, les plaintes étant toujours en cours, l’auteur ne pourra probablement plus aborder certains sujets avec la même légéreté, et peut-être même que d’autres pourraient s’auto-censurer pour éviter toute récupération et autre polémique. Il n’y a pas de pire censure que celle qu’on s’impose. Gardons un peu de place pour des sujets dérangeants, de l’humour bête et méchant, de l’ironie qui grince, quitte à ne pas plaire à tout le monde, quitte à bousculer les codes de la morale.

SimplySmackkk
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le 11 déc. 2024

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