La Vie secrète des jeunes aurait aussi pu être le titre du film les Beaux Gosses, réalisé et présenté par Sattouf en même temps qu’il publiait les planches de ce deuxième volume. Une partie de la réussite des deux œuvres est à mettre au compte des dialogues, particulièrement réussis : ici, écrire « vazi » au lieu de « vas-y », c’est déjà être réaliste, et on entend l’accent. Ce deuxième tome généralise le procédé qui, allié à une maîtrise croissante du format en une page et peut-être à un meilleur choix des sujets, donne à l’ensemble le rythme qui manquait par moments au premier.
Comme dans les deux autres titres de la série, rien ne fonctionne dans les histoires d’amour, d’amitié ou simplement de concorde dont Sattouf raconte à chaque fois un début avorté. Mais même si Paris est présentée comme le cadre aliénant de la plupart des saynètes, il est rare que le dysfonctionnement provienne de l’extérieur : la plupart du temps les dés sont pipés, comme si les rouages de la petite machinerie psycho-sociale avaient un vice de fabrication. (C’est d’ailleurs une différence avec le film les Beaux Gosses, dans lequel les engrenages, se mettant en branle, manquaient simplement d’huile.)
Une bande dessinée de moraliste, la Vie secrète des jeunes ? Entendons-nous bien : avec ce volume comme avec les deux autres, on est plus près de Reiser que de La Bruyère ou de Chamfort — quoique que le sous-titre Produits de la civilisation perfectionnée puisse lui aller comme un gant. Riad Sattouf traite la vie quotidienne comme l’auteur de Gros dégueulasse traitait la sexualité ; la relative innocuité de la Vie secrète des jeunes vient seulement de ce que nul tabou ne porte plus sur la vie quotidienne, même dans ce qu’elle a de plus trivial : dessiner un bébé qui se cure le nez ne choquera que les lecteurs qui n’ont jamais quitté Tintin.