Yves Sente, c’est un peu un gardien du patrimoine de la BD franco-belge. D’abord éditeur, il a repris le flambeau en tant que scénariste depuis le début des années 2000 de pas moins de trois séries majeures de la BD, à savoir Blake et Mortimer, Thorgal et XIII. Si on pourrait justement lui reprocher de se contenter de vivre dans l’ombre des grands comme Van Hamme ou Jacobs, il faut bien avouer qu’il a un grand talent pour perpétuer et rendre hommage à leurs œuvres. Pointilleux à l’extrême, il ne laisse rien au hasard dans la chronologie et l’univers de ces séries, et avoue dans les colonnes de Casemate 73 que « Le secret de l’Espadon », premier segment de la série Blake et Mortimer, n’est pas exempt de défauts scénaristiques. En effet, comment expliquer que nos héros connaissent déjà le colonel Olrik dès leur première confrontation ? Et d’où vient le capitaine Hasso, qui espionne Olrik pour le compte des occidentaux ? Sente tente de répondre à ces questions et bien d’autres avec une préquelle au « Secret de l’Espadon », dessinée par Juillard et publiée début décembre : « Le bâton de Plutarque ».


Scénario : Le récit débute donc au printemps 1944, pour se conclure quelques heures avant le début du « Secret de l’Espadon ». Il met l’accent sur la préparation du débarquement allié imminent sur les plages de Normandie, avec comme toile de fond la menace potentielle d’une troisième Guerre Mondiale avec l’Empire Jaune… Dense, (les soixante pages se lisent en bien plus d’une heure) le scénario ne nous laisse jamais au bout de nos surprises et se targue d’être accessible même aux non-lecteurs de Blake et Mortimer tout en offrant aux connaisseurs une foule de références et clins d’œil aux précédents albums. Et c’est sûrement pour cela que les ventes annuelles de la série ne faiblissent pas, car les auteurs arrivent à trouver l’équilibre parfait entre modernité et récit traditionnel. De ce côté-là, on n’échappe pas aux sempiternels pavés narratifs, qui peuvent paraître désuet mais font partis de l’ADN, du charme de Blake et Mortimer. Les fans de la série sont d’ailleurs doublement comblés cette année, puisque Veys et Barral ont sortis leur dernier album de « Philip et Francis », parodie délicieuse des aventures de nos deux héros en septembre dernier : « S.O.S Météo ».


Dessin : Décors fouillés, respects de la physionomie des personnages, une réussite pour la mise en couleur qui pouvait faire défaut aux premiers albums de Jacobs, Juillard nous sert des planches toutes aussi maîtrisées qu’auparavant. La ligne claire simple mais terriblement efficace de Jacobs peut être facile à imiter, mais particulièrement complexe à égaler, ce que parvient à faire Juillard. Et c’est dans des détails aussi anodins que les plis des vêtements ou les jeux d’ombres nocturnes qu’on le voit.


Pour : En parlant de la Seconde Guerre Mondiale, Yves Sente a voulu prouver l’importance cruciale de l’information, la désinformation et des messages codés dans le déroulement de cette guerre, et le résultat est tout bonnement passionnant. Que ce soit avec le décryptage du code Enigma (un film sortant le mois prochain est d’ailleurs consacré à ce code « Imitation Game »), l’utilisation de messages codés datant de l’Antiquité ou l’évocation d’anecdotes incroyables mais authentiques, il nous fait voir 39-45 d’un point de vue trop méconnus. Par exemple, il explique en quatre cases qu’une base militaire allié en Méditerranée avait prévu un poste d’observation secret pouvant loger six personnes avec des vivres pendant un an. Si la base avait été prise par les allemands, ces six personnes seraient restées pour espionner l’ennemi et émettre les informations par radio, en priant que la base soient reprises par les alliés avant l’épuisement des vivres…


Contre : … Mais toutes ces explications éparpillés dans l’album, bien qu’intéressante, bien documentée et souvent utile, peuvent parfois faire sortir du récit de par leur longueur et leur redondance.


Pour conclure : Un nouveau chapitre de l’histoire de Blake et Mortimer se conclut, tout en donnant des pistes pour les prochains albums. Pourquoi par exemple ne pas mettre en scène la première rencontre entre Blake et Mortimer, lorsqu’ils étaient adolescents, repoussant encore une fois les limites de la chronologie de la série…

Marius_Jouanny
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le 13 déc. 2014

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