Parmi les figures majeures de la bande dessinée ayant eu l'insigne honneur d'être éditées chez Les Humanoïdes Associés, Nicolas de Crécy occupe une place à part.
Il faut dire que, au-delà d'avoir accouché d'une œuvre profuse, il n'hésite jamais à repousser les expérimentations graphiques de tout genre, tout en affublant ses récits d'un souffle baroque et surréaliste innovant.
Parmi ses créations, comment ne pas mentionner la saga Le Bibendum céleste, œuvre phare de l’auteur ? Ça tombe bien, car elle ressort dans une édition luxueuse pour les 50 ans des Humanoïdes Associés. L'occasion de plonger, ou de replonger, dans les aventures de Diego le phoque, au cœur de New-York-Sur-Loire...
Résumer la saga du Bibendum céleste se révèle aussi complexe qu'inadéquat, tant cette œuvre chaotique et organique n'a de trame que pour faire bonne figure. Mais donnons au moins une piste narrative, histoire de ne pas se perdre dans les artères sans fin de cette saga. L'histoire suit l'arrivée de Diego, phoque en béquilles fraîchement débarqué par bateau dans la grande ville de New-York-Sur-Loire. Rapidement happé par l'énergie tourbillonnante de cette cité industrielle et par les forces propagandistes de la municipalité, il devient sans le vouloir un messie préfabriqué, ainsi qu'un candidat potentiel pour le prix Nobel de l'amour. Mais ça, c'était sans compter sur le Diable, qui a bien l'intention de se mêler à cette histoire…
Loin d'être un chaos surréaliste indigeste, le Bibendum Céleste dévoile au fur et à mesure de son histoire plusieurs facettes, qui en font une œuvre unique.
D'abord, celle d'un conte baroque délirant autour des tribulations du passif Diego, un jeune phoque propulsé en messie malgré lui. Ensuite, celle d'une satire politique d'une cruauté affolante sur l'avidité des élites à contrôler l'être humain et ce qu'il doit refléter au quotidien. Mais aussi celle d'un carnaval urbain autour de l'histoire de l'homme, prenant pied dans la cette cité organique qu'est New-York-Sur-Loire, où survivent treize millions d'âmes.
Mais derrière la douce odeur d'hélium et le cliquetis des béquilles de Diego, il y a surtout le talent hors norme de Nicolas de Crécy, qui nous embarque dans un univers coloré et exubérant, au carrefour d'un tableau d’Edward Hopper ou d'un croquis d’Egon Schiele. Au cœur de cette New York fantasmée qui ne reprend jamais son souffle, les aventures de Diego trouvent un écho avec l'histoire même de l'humanité, au travers de séquences graphiques enivrantes de beauté. Si le propos se dilue un peu sur son troisième acte, dû certainement à un surréalisme parfois abscons, le récit offre une conclusion effroyablement percutante qui ne vous laissera pas indemne.
Le Bibendum céleste, c'est donc davantage que l'œuvre maîtresse de Nicolas de Crécy. C'est aussi un récit surréaliste d'une poésie folle qui mérite d'être découvert par le plus grand nombre, que l'on soit (ou non !) un amoureux transi des poèmes de Lautréamont ou un amateur du cinéma de Buñuel.