Le Bibendum céleste est une histoire protéiforme, pleine de surprises et d'étrangetés, qui prend corps dans les détours que fait la narration et les zones d'ombres qu'elle laisse de côté, à l'image exacte de New-York-sur-Loire, la ville qui en est le théâtre. Diego, auquel on ne peut pas vraiment s'attacher tant il est inexistant pour un héros, traverse donc une histoire largement absurde, ballotté de droite et de gauche, devenant tantôt le contenant des flots de savoir que les professeurs y déversent, puis le véhicule pataud d'un diable malmené par un peuple de chiens qui ne croit pas en lui, avant d'être finalement habité par les « globines » du directeur, qui, pareils aux atomes des sociétés humaines, lui permettent d'accéder au statut d'individu.
Le dessin et les couleurs de Nicolas de Crecy est à l'image de cette histoire exubérante : changeant, recherché, travaillé. Les cases « de base », joliment encrées et colorées à la main, y alternent en effet avec des planches crayonnées, d'autres peintes, d'autres encore quasi bichromiques alors que certaines sont travaillées comme de vieux manuscrits. Et la encore, cette multiplication des styles qui pourrait sembler tape à l'œil ou hétéroclite, atteint une sorte de seuil magique qui une fois dépassé, donne à l'ensemble un surcroît de cohérence graphique. Ce d'autant que ces originalités visuelles ne sont pas là pour épater la galerie mais servent réellement le récit.
Au final, comme lorsque l'on découvre pour la première fois une pièce de théâtre de l'absurde, chaque page est un régal, bien que l'on n'en comprenne à la première lecture qu'une sur deux. Et l'inventivité graphique autant que le récit philosophico-loufoque, donnent envie dés la fermeture du livre, de s'y replonger au hasard, pour découvrir un jeu visuel à côté duquel on était passé, ou pour relire un extrait dont la portée ne se révèlera qu'à la troisième lecture.
Il me semble toutefois, et presque en bonus, qu'un message traverse l'œuvre, ou en tous cas qu'elle constitue une métaphore de l'humanité. De sa naissance, assez clairement évoquée dans le récit, de son essence (ce qui nous différencie des autres êtres vivants), mais surtout de sa croissance, Diego traversant finalement les principales étapes qui séparent la naissance de l'accession au statut d'adulte... et donc d'individu à part entière.
Le Bibendum Céleste fait pour moi partie de ces rares GRANDES bandes dessinées, qui ne sont malheureusement pas considérées à la juste mesure de ce qu'elles apportent au genre, et à la littérature en général.
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