C’est l’histoire vraie de John Tanner (1780-1845), fils d’un pasteur fermier du Kentucky enlevé par les Indiens à l’âge de neuf ans. Déraciné, bientôt orphelin, il passera trente années parmi les peuples indigènes des Grands Lacs de la nation des Algonquins. Aux éditions Glénat, Christian Perrissin et Boro Pavlovic reviennent sur le parcours extraordinaire d’un Blanc ayant grandi malgré lui parmi les Ojibwé et les Ottawa.


Comme l’avant-propos l’indique clairement au lecteur, le récit se déroule à une époque (fin XVIIIe) où les Anglais et les Américains convoitent un vaste territoire d’Amérique du Nord. On apprendra en parcourant les pages de cette bande dessinée que les Indiens faisaient alors régulièrement des affaires avec les Blancs, considérés comme des interlocuteurs fiables. La parole des colons, qui cherchaient avant tout à exproprier les indigènes, aurait pourtant dû être démonétisée depuis longtemps. Ce n’est certainement pas Howard Zinn, l’auteur d’Une histoire populaire des États-Unis, qui soutiendra le contraire. Dans ce célèbre essai, il fait la démonstration des marchés de dupes utilisés par les Blancs contre les populations indiennes – débouchant sur des promesses toujours trahies et des peuples indigènes progressivement décimés.


Le docteur Edwin James, qui a rencontré John Tanner alors qu’il servait dans un avant-poste de la frontière nord, a fait parvenir jusqu’à nous son histoire incroyable. Le jeune chirurgien de l’armée américaine fut immédiatement fasciné par ce Blanc ayant épousé les coutumes et pensées des Indiens. Cet état de fait est pourtant le produit d’un long cheminement qui a débuté par un déracinement brutal, que Christian Perrissin raconte par le menu : deux Ojibwé ont enlevé John de son foyer – une vieille cabane rafistolée où s’entassent les membres d’une famille reconstituée, dont le père de John et sa nouvelle femme. Cet enlèvement répond à un rituel : une Indienne a perdu son fils ; son époux lui en amène un de substitution, qu’il a volé aux Blancs par vengeance. Après une longue traversée particulièrement éprouvante – John souffre des pieds et est tenaillé par la faim –, il intègre une communauté avec laquelle il ne partage rien : ni la langue ni le mode de vie. Il est d’abord rejeté parce que différent et honni du chef indigène. Deux cultures discordantes vont bientôt s’entrechoquer en lui. Il est ensuite progressivement adopté, protégé par sa nouvelle mère, mais toujours abhorré par son nouveau père.


Cette bande dessinée est rendue d’autant plus intéressante que la vie des Indiens y est finement restituée : on les voit commercer – fourrures, armes, gibiers –, s’adonner à des rituels – notamment les danses au cimetière –, évoluer dans des hiérarchies strictement définies – où les femmes peuvent être titulaires du pouvoir, comme chez les Ottawa – et régler la vie communautaire selon des dispositifs acceptés de tous – les réunions pour consolider les alliances et redéfinir les terrains de chasse, par exemple. Christian Perrissin témoigne aussi des ravages de l’alcool dans leur communauté, de certaines croyances – parler aux esprits –, du dénuement des indigènes ou encore du troc y ayant cours – John est échangé aux Ottawa contre quelques fournitures. Boro Pavlovic emploie tout son savoir-faire dans des dessins aux couleurs idoines, dont les détails – courbures des arbres, brins d’herbes, paysages rocheux, traits des visages, etc. – frappent d’emblée le lecteur. Le fond comme la forme sont donc au rendez-vous. Ensemble, ils permettent de prendre le pouls d’une époque charnière, où Blancs et Amérindiens s’attaquent mutuellement – les campements shawnees – et se disputent des terres tout en continuant à marchander.


Article publié sur Le Mag du Ciné

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le 22 oct. 2019

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