Les premières pages donnent le ton et vous offrent même la fin en introduction ; vous ne rirez que peu lorsque vous achèverez votre lecture, c’est chose garantie. Bien que je redoutais légitimement un tire-larme, chose coutumière dès lors où il est question d’un chien mort, le récit, engagé sur une pente qu’on sait dramatique, sidère par son œil froid et implacable.
On y découvre la vie d’une famille ayant recueilli un chiot. En un temps long condensé en peu de pages, à travers les yeux de « Happy », le chien familial, le lecteur suivra les évolutions de dynamique au milieu d’un foyer. Des parents heureux, une jeune fille pétillante ; tout va trop bien. Et parce que ça ne saurait aller mieux, ça ne pouvait qu’empirer.
Ne comptez sur aucun élément perturbateur invraisemblable pour rompre la joyeuse monotonie qu’espère savourer cette famille. Cette famille, sans compter les autres, par ailleurs. Ils ne seront, tous ces gens-là, que ravagés et calcinés par le temps qui passe ; comme chacun. L’ordre des choses est un boulet au pied qui vous tire lentement vers les abîmes. Quand vous touchez terre, l’histoire s’achève.
Car c’est dans l’ordre des choses que la santé des grand-parents, du fait du grand âge, se détériore ; car c’est de l’ordre des choses qu’une jeune fille, devenue adolescente, perde en innocence pour ne plus être qu’une petite conne sans amour-propre – la rengaine est vieille comme le Père Goriot – c’est aussi dans l’ordre des choses de perdre son emploi, le contexte économique, ce genre de choses, ce qui en découle, de cet aléas ça aussi, ça va dans l’ordre des choses. Ah, le divorce consécutif au licenciement ; un classique indémodable. 80 % des divorces en France sont initiés par ces dames, le saviez-vous ? Je me souvenais avoir lu, il y a longtemps de cela, qu’après un licenciement massif dans le nord de la France, plus de 60 % des couples mariés avaient divorcé dans l’année.
L’ordre des choses, encore et toujours. Ça vous dit quelque chose, à vous, toutes ces vilaineries ? À moi aussi.
Le Chien Gardien d’Étoiles, c’est l’histoire d’une vie, sans que rien n’y soit enjolivé ou exagéré. Et le vivant, ça naît, ça mature, ça décline ; puis ça meurt. Ce n’est pas un drame qu’on lit ici, rien que le tracé inéluctable de ce que suppose l’existence.
L’aventure, qui n’est en réalité qu’un lent et inexorable pourrissement, aurait pu s’arrêter en un court chapitre, car tout y était dévoilé. L’auteur a cependant choisi de prolonger le séjour afin d’étaler un long et lancinant récit misérabiliste aux airs de pas y toucher sur une durée trop excessive pour ne pas lasser. Ce qui tenait de l’inexorable devient simplement dramatique pour la finalité de l’être. Le chemin qui conduira « papa » à la mort se trace trop prestement. Homunculus et Ushijima, Usurier de l’Ombre avaient, je crois, su mieux traiter la question.
C’est un tire-larme qui sait très bien y faire, sans trop user d’artifices tapageurs pour nous avoir ; un tire-larme néanmoins. Un qui, si on y regarde bien, s’accepte difficilement comme autre chose une fois que l’on a le recul sur ses dizaines de page d’existence.
Puis, même terminé, ça continue. On suivra le parcours du reste de la famille, chien inclus, et de ce qui gravitera autour. C’est intéressant, je ne dis pas ; l’encre n’est pas versée en vain, mais il y a ce petit fond de pudeur affectée tout en cherchant à faire semblant de ne pas l’être… ça me contrarie. Les encarts introspectifs pour narrer les pensées des personnages principaux, ceux-ci venus guider le tracé du récit, constituent certes un effort de mise en scène ; un effort concluant, j’ajouterai, mais un effort tourné vers un objectif inavouable, celui du tire-larme.
Je n’en démords pas, car la narration insiste à me l’imposer. Ces airs de délicatesse pour taire pudiquement la souffrance, sans se priver néanmoins de la montrer, mais juste ce qu’il faut pour ne pas faire dans le voyeurisme ; avec moi, ça prend pas. Je comprends cependant qu’on s’y laisse prendre, la méthode est bien foutue. Mais il y a ceux qui, lorsqu’ils voient un être vivant, voient son caractère, ce qui le compose relativement à son comportement ; puis il y a ceux qui, pour comprendre cette même entité, ont besoin de pratiquer une vivisection. J’appartiens à la deuxième catégorie. Aussi, si mon regard critique gagne en acuité, l’approche conduite vers bon nombre d’œuvres est souvent froide et méthodique.
Il faut un souffle de passion pour me suggérer une démarche critique plus humaine et chaleureuse. Et de ce souffle, je dois bien reconnaître que Le Chien Gardien d’Étoiles en est foncièrement dépourvu.
Et plus on me montrera des chiens innocents avec de grands yeux humides, moins je serais enclin à considérer ce que je lis comme autre chose qu’un appel indiscret adressé à mes sentiments. Ce genre d’invocation les indispose. On a tous chialé avec l’épisode de Futurama centré sur Seymour, on s’est laissés prendre, on était jeunes, mais cinq chapitres durant, on me la fera pas.
Le coup de la vieille femme acariâtre qui s’adoucit et se révèle uniquement auprès d’un chien innocent. Oh… non… c’est d’un cliché, je vous en prie. Même bien raconté, ça ne passe que difficilement. Gintama l’a déjà fait. Et mieux.
Nous apprendrons, dans un édito consécutif à l’épilogue, que l’auteur a écrit la deuxième partie de son œuvre en réponse aux milliers de courriers reçus. Il est vrai que ce qu’il a écrit et dessiné a su aisément faire pleurer son lecteur et, pour une fois, avec habileté et pour de bonnes raisons. Tire-larme peut-être, mais le meilleur dans son registre.
Le Chien Gardien d’Étoiles reste, en outre, une œuvre complète et solide ; avec une boucle joliment nouée en fin de compte. Le tire-larme, il l’est de trop à mon goût, perpétré toutefois avec la même maestria que celle d’un Urasawa – quoi que c’est sans doute plus facile avec un chien. L’histoire est finalement poignante, mais moins percutante que ce qu’on s’accordera à penser une fois que les jours seront passés et, qu’une fois l’esprit plus lucide, le regard et le recul porté sur l’œuvre s’avéreront moins empreints d’émotions.