« Le Chinois à deux roue » est le dixième tome de la série Gil Jourdan, écrite et dessinée par Maurice Tillieux. Pour ceux qui n’en sont pas familiers, il s’agit des aventures d’un détective, Gilbert "Gil" Jourdan, toujours accompagné par son fidèle comparse Libellule et l’attachant inspecteur Crouton.
En vacances en Iran, Gil Jourdan a accepté d’enquêter sur un gang de trafiquants de scooters à la demande d’un riche homme d’affaires chinois, dont le monopole dans le secteur est gêné par les actions de la bande. Jourdan et ses deux compagnons se sont donc envolés pour la Chine, où, munis d’informations sommaires sur la localisation des trafiquants, ils ont entrepris un dangereux périple pour les débusquer.
L’album démarre alors sur les chapeaux de roues, et l’on retrouve les trois personnages aux commandes d’un camion, sur une route de montagne précaire, sous la pluie torrentielle chinoise.
À plus d’un titre, « Le Chinois à deux roues » se distingue, d’une part des autres albums de la série, d’autre part, de la bande-dessinée franco-belge habituelle. C’est, en effet, l’un des premiers récits à proposer une aventure héritée du road-movie cinématographique : l’on s’attache ici à suivre la progression des héros sur la route.
Le génie de Tillieux, c’est de réussir à créer une atmosphère fantastique avec pourtant assez peu d’éléments. Les décors sont très épurés, les environnements finalement assez clos, mais perpétuellement plongés sous une pluie battante qui donne une couleur particulière au récit. Le talent de l’auteur s’exprime pleinement lorsqu’il décrit des situations avec quelques détails minutieux, qui les rendent incroyablement vivantes.
Par exemple, vient un moment du récit où Gil Jourdan et ses compagnons ont embourbé leur camion dans la rivière. Si celle-ci n’est heureusement pas très large, en extraire le véhicule exige une logistique particulière. Avec une grande économie de mots, mais une maîtrise virtuose de la narration, Tillieux entreprend de faire vivre au lecteur la scène. L’on comprend le plan de Jourdan en même temps que Libellule, l’on sue avec les deux compères alors qu’ils accomplissent leur besogne épuisante… l’on se battrait presque avec les moustiques, l’on peut ressentir la fraicheur de l’eau boueuse et l’irritation incessante de cette pluie qui n’en finit pas.
Au final, l’exploit de Tillieux, ce n’est pas seulement de réussir cette immersion – déjà parfaite – mais d’aller au-delà en faisant croire au lecteur que sortir un camion embourbé d’une mangrove chinoise sous un déluge est la chose la plus merveilleuse qui soit.
Après, on retrouve tout ce qui fait le sel de la série : des péripéties, une gestion du rythme impeccable, des méchants, et de l’humour. Il faut toutefois signaler, par rapport à ce dernier point, que l’album se démarque des précédents en se faisant plus sérieux ; les calembours de Libellule, sont, à mon grand regret, hélas bien moins présents qu’avant. En termes de dessin c’est toujours aussi propre, et Tillieux dessine vraiment les voitures comme personne…
Bande-dessinée de road-movie passionnante à l’atmosphère extraordinaire, « Le Chinois à deux roues » est probablement l’un des meilleurs albums d’une série de très grande qualité, voire l’une des plus géniales BD jamais écrites. Un indispensable.