Chers amis !... Devant le danger que représente pour nos industries nationales la lutte sportive et commerciale que vont se livrer les américains et les russes, je vous propose d'unir nos efforts ! A opposer au massif effort soviétique et aux immenses moyens américains, nous avons notre expérience, notre qualité, et j'ajouterai même : notre talent !
L'Europe unie part à la conquête du monde
"Le Circuit de la Peur", troisième opus de la série "Michel Vaillant", dévoile tout le talent de Jean Graton dans la création d'un univers d'une richesse extraordinaire. Paru pour la première fois en format album en 1961 chez Le Lombard, cette bande dessiné se distingue par la représentation réaliste et immersive de son contexte, centré principalement autour de l'automobile. Dans ce récit, l'auteur plonge une fois de plus le lecteur au cœur de l'entreprise familiale Vaillant, dévoilant le processus de montage des voitures de la gamme "Horizon". Toutefois, au-delà de la simple mécanique, Graton explore également les facettes liées à la communication et à la publicité, attribuant à la marque ses propres journalistes. Journaliste, un rôle que Michel assume avec brio. Eh oui, car il faut bien se rappeler, au-delà de ses exploits en tant que pilote hors pair, ce champion de l'asphalte se transforme également en chef d'orchestre de la propagande et de la publicité au sein de l'entreprise Vaillant. Il s'impose fièrement comme l'éditeur de la revue de la marque : "Route et Sport". Un autre "journaliste de l'extrême" qui s'ajoute à la liste déjà longue de journalistes emblématiques tels que Ric Hochet, Tintin, Spirou... Une époque révolue où le métier de journaliste incarnait des valeurs nobles et vertueuses, bien loin de la réalité actuelle où la plupart semblent avoir abandonné la quête de la vérité au profit de leur propre vérité, devenant davantage des idéologues. Ah, comme le temps a changé !
C'est ainsi que se dessine un panorama complexe, où la perception de la population est modelée par les médias, mettant en lumière la puissance de la propagande et son influence profonde sur la société. Cette plongée dans les arcanes de la gestion d'une marque automobile transcende le simple aspect performant des courses. En effet, ce troisième tome souligne avec finesse que la réussite ne se mesure pas seulement par des victoires sur la piste, mais nécessite une gestion holistique, tant sur le fond que sur la forme. Ce cheminement offre une réflexion captivante sur les enjeux stratégiques qui entourent une entreprise de renom, mettant en avant la nécessité d'une approche large et complexe pour assurer sa pérennité. Un développement intrigant introduit à travers une guerre industrielle mondiale entre l'Amérique et la Russie, dans laquelle l'Europe va vouloir s'insérer pour affirmer sa place sur la scène internationale. Une piste qui représente le reflet d'une lutte plus vaste, que la simple détention d'un trophée, afin d'imposer la marque européenne à l'échelle planétaire pour la suprématie industrielle. Ainsi, Graton nous invite à réfléchir sur les ramifications économiques et politiques qui sous-tendent le monde de la compétition automobile, transformant un simple parcours en un enjeu majeur de la géopolitique. Une narration qui s'intègre harmonieusement dans la continuité des deux tomes précédents, leur adressant des clins d'œil appréciables, et que l'on peut mesurer en termes de durée, car depuis le second tome, une année s'est écoulée.
J'an ai assez ! Si eux ne bougent pas, le père Vaillant va les faire se remuer !
La dynamique familiale est une fois de plus habilement exposée, car pour Graton, à l'image de son héros chéri, la famille est une symbolique vénérée. C'est un pilier indispensable sur lequel Michel s'appuie pour triompher des circuits du monde entier. Ce cocon protecteur émane d'un univers bourgeois qui est présenté avec tant de soin qu'on ne peut que rêver d'en faire partie. Certes, Graton accorde une importance prédominante aux membres masculins, conformément aux rôles traditionnels de l'époque explorée, la France des années 50. Mais, il n'omet pas d'accorder aux femmes la place cruciale qu'elles occupent en tant que soutien inébranlable. Mieux encore, à travers le personnage d'Agnès, fille du comte de Chanzy et épouse de Jean-Pierre Vaillant, il crée une femme qui, au sein d'un monde largement masculin, réussit à se faire une place et à s'imposer. Elle devient même celle qui démêle le complot visant à faire perdre l'équipe européenne. Une équipe initiée par le patriarche du clan Vaillant, Henri, qui a réussi à réunir pour l'épreuve les usines de Ferrari, Aston Martin, Vanwall, Porsche, Jaguar, Mercedes et Maserati, une initiative sans précédent. Ainsi, cette équipe, composée d'un Italien, d'un Belge, d'un Allemand, d'un Anglais et d'un Français, s'engage dans une compétition en trois étapes contre les Américains et les Russes.
Sur le papier, le sujet est fascinant, et les trois épreuves à venir promettent également de captiver. Toutefois, le problème réside dans le fait que ces épreuves sont totalement survolées pour laisser place à un récit axé sur une machination où les voitures et les candidats européens deviennent la cible d'attaques dans l'ombre. Bien que la paranoïa explorée à travers la détresse et la crainte des candidats soit bien illustrée, on néglige les épreuves elles-mêmes, et surtout les adversaires de la compétition, symbolisés par les équipes russes et américaines. Les russes sont invisibles et les américain, bien que s'en sortant légèrement mieux, ont également de la peine à représenter une menace dans les épreuves. C'est comme si l'on avait affaire à deux bandes dessinées en une, deux intrigues distinctes, et c'est regrettable. Il en résulte trois épreuves survolées, dont on ne profite réellement que de la deuxième, tandis que la premère est survolée et la dernière complètement négligée. Un rival de taille fait défaut à Michel, qui, sans les actes de sabotage orchestrés par la menace de l'ombre, se trouve dans ce tome être un pilote qui ne rencontre aucune concurrence susceptible de le surpasser. Alors que le premier tome présentait un adversaire redoutable pour notre héros avec Steve Warson, que l'on retrouve ici mais qui n'est plus à la hauteur de sa compétitivité passée, et le Pilote sans visage dans le tome 2, ce troisième opus ne propose rien de plus contre notre héros qu'une menace invisible.
CONCLUSION :
Avec "Le Circuit de la Peur", Jean Graton transcende le cadre des aventures sportives pour explorer des thématiques profondes, offrant une lecture qui va au-delà de l'asphalte et du rugissement des moteurs. Un récit abondant en informations tant sur le fond que sur la forme, qui malheureusement pâtit d'une négligence au niveau des courses, rapidement survolées. C'est regrettable, car sans cela, ce troisième tome aurait pu figurer parmi les plus grands de la saga. Malgré tout, il demeure de qualité grâce à son développement astucieux des coulisses du monde automobile.
Un récit pour la suprématie automobile.
... Et à l'avenir, quand vous lutterez les uns contre les autres sur tous les circuits du monde, car la loi du sport exige que de grands amis dans la vie deviennent de farouches adversaires dans la compétition, vous sentirez que vous êtes plus que des camarades, ... Que vous êtes tous frères !