Peut-être le meilleur Jérôme K Jérôme Bloche, que j’appellerai ici « JKJB ». Le sympathique détective privé, représenté par Dodier sous les traits d’un rouquin binoclard (avec chapeau Bogart-ien et pur trench-coat d’Ecosse), s’embarque ici dans une histoire de tueurs à gages. Basé sur une intrigue quelque peu académique, cette aventure est marquée du sceau de la mort (notre héros la frôle), ce qui lui confère une certaine gravité, et un statut d’album « à part » dans la collection.
L'histoire : « Charlemagne » est un homme qui vit dans la rue depuis plusieurs années. Armé simplement de sa bite et de sa bouteille, et d’un drôle de cahier d’écolier auquel il tient beaucoup, il fait la rencontre de Jérôme. Celui-ci, emballé par le manuscrit qui renferme l’intrigue policière la plus formidable qui soit, propose au sdf de publier son histoire. Le problème de taille, c’est que l’histoire que raconte Charlemagne est authentique et qu’elle traite de son ancienne activité, l’honnête profession de tueur à gages. Les anciens commanditaires ne voient pas d’un bon œil le fait d’avoir découvert leurs noms dans ce roman récemment édité de leur ancien « ouvrier qualifié ». Ils envoient, tout naturellement un professionnel qualifié pour "régler l'affaire" au plus vite.
Des tueurs, des regards glaçants, tel celui d’Alan Delon dans « Le samouraï » (1967) de Jean-Pierre Melville. Les tueurs qui s’opposent ici ont les mêmes règles et codes : une marque de fabrique spécifique, de la discrétion, un professionnalisme à toute épreuve (qui supporte même les affres de la vieillesse). Très excitante, l’intrigue s’articule autour d’un fait historique particulièrement marquant (l’assassinat de JFK, rien que ça). L’affrontement final, en huis-clos, entre les deux meurtriers, est sans doute le grand moment de cette bande-dessinée, mais relègue JKJB aux oubliettes pendant presque 10 pages, ce qui constitue à mon sens la seule véritable faiblesse de l’ouvrage. En réalité, le héros, « guidé » par le crayon de son créateur, est mis de côté « exprès ». Sciemment écarté, comme si l’auteur souhaitait tout simplement préserver son personnage, trop fragile et trop gentil pour sortir indemne d’un combat de titans auquel il n’a, de toute façon, pu participer.
Le trait de Dodier, on le connaît. Hyperréaliste, son univers est ancré dans le Paris contemporain. Il y a quelque chose d’à la fois humble et maîtrisé dans son coup de crayon. Une certaine humilité, car il n’y a jamais de fioritures, d’apparats, ou d’effets de style inutiles. Le trait n’est pas forcé, ou trop appuyé, juste ce qu’il faut. Une justesse de ton en somme, dans les couleurs, les traits, les cadrages, les plans, points de vues, champs et contre-champs cinématographiques. Mais surtout, son dessin sert ce nouveau scénario, cette histoire très prenante, qu’on lit comme on regarderait un bon film policier.
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