On le sait, les classiques du manga des années 70 ou antérieurs ne vendent pas trop chez nous, mais parfois des éditeurs soucieux d'éduquer le lectorat, de faire partager des œuvres géniales, nous sortent de gros pavés de mangas cultes, et on les en remercie. Je suis très content d'avoir pu lire "Le Coeur de Thomas" car il s'agit vraiment d'un excellent manga.
Une rapide présentation de l'histoire pour ceux qui veulent savoir : En allemagne, probablement au début du XXe siècle, dans un pensionnat pour garçon, un jeune garçon, Thomas, qui vit un amour à sens unique vis à vis d'un autre jeune homme, Juli, se suicide, et ce dès les pages d'ouverture du manga. Tout le monde croit à un accident, mais Juli a reçu une lettre que Thomas à écrit avant sa mort, où il avoue son amour et son suicide. Juli doit donc gérer ce deuil ainsi que ses autres problèmes, tandis qu'un nouvel élève débarque au pensionnat, Eric, qui ressemble beaucoup à Thomas et qui se fait toujours comparer à ce dernier. Eric doit se défaire de l'ombre de Thomas, tandis que Juli doit essayer d'avancer alors que la présence du nouvel élève lui rappelle en permanence le suicide de son camarade.
C'est vraiment un excellent manga, avec ses personnages torturés qui essayent de comprendre leurs sentiments, qui essayent d'avancer malgré leurs démons passés, qui essayent de se rapprocher des uns des autres malgré les grands secrets qu'ils ont tous, et en particulier le plus torturé d'entre tous, Juli. C'est vraiment très bien fait, avec une narration, un découpage vraiment très travaillée pour mettre en scènes les dilemmes sentimentaux des personnages, leurs psychoses et en outre Hagio propose une excellente représentation graphique des émotions des personnages. Les cases cultes, les pages marquantes se succèdent à la pèle, l'auteure arrivant à rendre à la perfection l'intensité des état-d'âmes de ses héros.
J'ai vraiment été très impressionné par la façon de Hagio de mettre en page, de déstructurer sa page, de changer de traitement graphique, d'utiliser des métaphores visuelles pour être la plus juste possible. C'est excellent, c'est vraiment super bien pensé, et c'est en plus superbement dynamique, nous emportant toujours dans un mouvement continu, dans le flot des sentiments des personnages.C'est bien simple, les 5 premières pages ont déjà été une vraie claque tellement la maîtrise narrative était évidente.
Donc en plus d'une narration de haute volée, le style graphique de Hagio, bien qu'un peu daté, est loin d'être dénué de charme. Et en outre, le scénario est très agréable à suivre, avec sa tonalité sombre, ses personnages passionnants et attachants, les nombreux rebondissements, mystères et révélations de l'intrigue... C'est du bon boulot.
Ce qui est intéressant aussi, c'est bien que ça se passe au début du siècle, dans cette oeuvre, le sentiment amoureux homosexuel est parfaitement accepté et les jeunes garçons du pensionnats passent leur temps à se séduire et à tomber amoureux les uns des autres. On y parle vraiment d'un sentiment amoureux universel qui s'affranchit des frontières de genres et qui n'est pas du tout dans une attirance charnelle. Si ce n'est quelques échanges de baisers enflammés, quelques caresses sur les cheveux ou la joue, ça ne va jamais bien loin dans ce manga.
A contrario, dans cette Allemagne où tout le monde est blond, on y croise un de temps à autre un racisme des cheveux noirs qui fait un peu penser à un Japon inversé et c'est plutôt amusant (et ça permet à Hagio d'aborder certaines thématiques à un moment de l'histoire pour développer ses personnages).
Donc voilà, oeuvre culte, vraiment passionnante à lire et qui mérite sacrément le coup d’œil.