Le site est de retour en ligne. Cependant, nous effectuons encore des tests et il est possible que le site soit instable durant les prochaines heures. 🙏

Le Cœur de Thomas
7.6
Le Cœur de Thomas

Manga de Moto Hagio (1974)

" Ceci est mon amour pour toi, ceci est le battement de mon coeur"

Comment définir Le coeur de Thomas autrement qu'en utilisant le terme de merveille ? Un tourbillon de sentiments, d'amour, de haine, de répulsion et de désir qui embarque le lecteur au même titre que les personnages, torturés au possible. Un titre sur lequel, donc, l'impasse est absolument interdite. A mes yeux, c'est en tout cas désormais un manga en haut du panier, dont plusieurs relectures n'enlèvent rien au charme mystique qu'il exerce sur moi...


Attention, quelques spoilers sont susceptibles d'être cachés dans cet article !


Allemagne, pensionnat pour garçons de Schloterbetz. Le jeune Thomas Werner, que tout le monde aimait comme un frère, décède, en laissant derrière lui une lettre d'amour destinée au très sérieux délégué des élèves, Julusmole. Suite à ce très intriguant démarrage, on en vient très rapidement à comprendre que Thomas s'est lui même donné la mort, consumé par son amour dévorant pour le jeune homme. Seulement, cet acte passionnel va agir comme un poison sur l'esprit du héros, Juli, qui va bientôt vivre aux crochets des souvenirs qu'il entretenait sur le défunt, qu'il haïssait... L'histoire prend un tour encore plus alléchant quand apparaît Eric Frühling, un jeune garçon ressemblant trait pour trait à Thomas. Il m'aura fallu peu de pages pour être totalement emportée par ce récit où l'ombre de Thomas semble nous attendre à chaque coin de page, moins encore pour affirmer que Moto HAGIO est un génie. Entre amours secrets, traumatismes et désirs inavouables, Le coeur de Thomas a tout simplement capturé mon propre coeur en moins de temps qu'il ne faut pour le dire tout au long de ce gros pavé de 500 pages.


Et à côté de cette ambiance pleine d'entrain propre à un pensionnat, la mangaka distille ça et là mille et un mystères qui obsèdent le lecteur autant que le fantôme de Thomas hante nos héros. Pourquoi Thomas s'est-il donné la mort quand tout semblait lui sourire ? Qu'est-il arrivé à Juli pour qu'il soit si effrayé à l'idée d'aimer ceux qui l'entourent ? Des questions qui amènent des réponses souvent impressionnantes, presque magistrales tant le scénario est écrit de main de maître. Sur la fin, j'étais vraiment impressionnée par le talent de narratrice de l'auteure, qui ne laissait rien paraître de tout ce qu'elle avait réservé pour nos héros.


Mais cette histoire déjà très riche ne serait toutefois pas grand chose sans ses personnages torturés au possible, rongés par l'omniprésence de Thomas, fantôme dont personne ne peut se défaire. J'ai été particulièrement impressionnée par le personnage de Juli, certainement celui qui bénéficie de la meilleure écriture, un petit bijou à lui tout seul. En apparence le délégué des élèves modèle, consciencieux dans son travail et vertueux, Julusmole Bayhan est plus touché que quiconque par la mort de son camarade. Pire encore, celui-ci va l'obséder. Tout au long du manga, il oscille entre une haine très forte envers lui, allant jusqu'à tenter de provoquer la mort de Eric, son double, et un amour puissant, mais inavouable. Très croyant et désireux de devenir le parfait allemand que sa famille veut voir en lui, le jeune garçon souffre de cette homosexualité qu'il refuse de laisser paraître, taisant ses sentiments derrière un masque de fer. Et en cela, l'arrivée du doux Eric dans sa vie n'est pas pour l'aider... Mais pire encore, l'abandon de toutes ses croyances suite à l’oppression de Seyfried (représentant directement le satanisme) et donc, par extension, de tout ce qu'il pensait être, le ronge plus que tout. J'ai adoré la façon dont la mangaka représentait cet être détruit de l'intérieur, accablé par ses blessures psychologiques comme physiques et jouant dangereusement avec la mort et l’autoflagellation pour s'expier de ses pensées qu'il juge impures et se débarrasser de Thomas. Il était intéressant de voir jusqu'où cette haine, envers Thomas, mais surtout son mépris envers lui même, pouvait l'amener. En fermant le volume, on découvre finalement un être extrêmement doux et empli d'amour, qui n'arrivait juste pas à s'accepter comme il était, ni à se pardonner. Un personnage que j'ai beaucoup aimé de A à Z donc.


L'arrivée de l'énergique Eric au pensionnat va chambouler ce petit monde, de par son caractère bien trempé, mais surtout de par sa ressemblance troublante avec le défunt, ce qui va lui valoir les foudres de Julusmole, mais au contraire l'amitié de ses autres camarades. Difficile alors de se faire une place, plus encore d'affirmer son amour naissant pour le délégué des élèves. Se pose alors la question de ses sentiments : sont-ils sincères ou alors altérés par son identification à Thomas ? Reste que sa simple présence va avoir un impact énorme sur notre héros, qui va tout d'abord le rejeter violemment, pour ensuite lui ouvrir son coeur et retrouver sa douceur d'antan. Eric est un personnage que j'ai trouvé très attachant. Sa volonté de comprendre Juli et de l'aider était touchante, quand bien même il faisait souvent plus de mal que de bien en remuant le couteau dans la plaie. Et à côté de cela, ses propres traumatismes, nés de son amour débordant pour les autres, vont s’apaiser aux côtés de Juli. Les deux personnages entretenaient une relation séduisante, qui leur était à chacun bénéfique, à la frontière de la répulsion tout d'abord, puis d'un amour sincère.


Puis, viens Oscar, mon petit coup de coeur de cet imposant volume. Plus âgé, légèrement cynique et désabusé, Oscar se présente comme le plus grand soutien de Julusmole, soutien troublé par l'amour tout en discrétion qu'il va porter à celui-ci. Disons-le autrement, Oscar, c'est un peu le bon gars du triangle amoureux qui offre tout son amour à l'autre sans jamais bénéficier en retour. Et c'est surement pour ça qu'autant de lectrices se sont attachées à lui, parce qu'il mérite tellement plus d'amour. Ce personnage étant d'autant plus intéressant qu'il avait sa propre histoire à côté. Je me suis énormément attachée à lui.


Je parle finalement très peu du personnage de Thomas, alors qu'il donne son nom au titre de l'oeuvre. Mais au bout du compte, c'est aussi le personnage qui est le plus présent, car chacun le perçoit d'une façon différente, mais ne peut s'en défaire. Le plus intéressant était sans aucun doute la vision que Juli avait de lui : un ange tandis qu'il se voyait lui même comme un ange déchu. Sur la fin, Eric lui même se sent extrêmement proche de cet être qu'il n'a pourtant jamais connu. Je n'aurais pas dit non à un petit spin off sur le personnage, qui, bien qu'elle n'aurait rien apporté de plus je pense, aurait été très appréciable.


J'ai beaucoup apprécié la façon dont l'auteure représente ces amours très passionnels. On est tellement loin du yaoi fan service qui semble faire loi de nos jours... Là, c'est juste du sentiment à l'état brut, sans une once de surplus. Je ne suis pas une grande connaisseuse du genre (j'en ai lu trop peu pour me la jouer savante), mais j'ai trouvé que l'amour était traité d'une façon tellement plus profonde et forte. Un courant de pureté contre lequel on ne peut lutter, et c'est surtout ce qui sauve notre protagoniste. Pour certains, cela sera peut-être trop, mais personnellement, cela m'a réellement emportée.


Le trait de Moto HAGIO est très élégant. Il est rare que je fasse la comparaison, mais plusieurs planches m'ont rappelé avec délice ce que font aujourd'hui les CLAMP, mes mangakas vénérées. Les pages regorgent de fioritures, de fleurs et de tout plein d'autres détails qui rendent le tout, certes très féminin, mais pas moins subjuguant. Une véritable oeuvre d'art, jusqu'à son dessin. Je ne manquerais certainement pas de découvrir l'auteure avec son anthologie sortie au éditions Glénat (seule autre oeuvre de l'auteure sortie en France, malheureusement) et autres titres sortis en anglais (si cela existe). En tous cas, c'est vraiment une mangaka qui s'est élevée, avec une seule oeuvre, dans le rang de mes auteurs favoris.


Bien qu'elle ne soit pas aussi séduisante que celle de Fantagraphics (que je posséderais un jour, soyez-en certains), l'édition de Kazé est de jolie facture, avec un grand format très plaisant, afin d'apprécier à sa juste valeur la beauté des planches et assure une bonne prise en main. J'aurais toutefois aimé qu'ils ajoutent la petite histoire inédite sur l'été de Eric, tout en couleur et d'une douceur à couper le souffle. Mais ne crachons pas sur ce que l'on a, malgré quelques coquilles, le tout est agréable.


Difficile de résumer dans cette critique tout l'amour que je porte pour Le coeur de Thomas. Il s'agit tout simplement d'un des mangas les plus profonds et les mieux écrits que j'ai lu. Un concentré d'émotions, de haine et de désir porté par des personnages à l'écriture ingénieuse. Un vrai bijou donc, qui vous hantera certainement autant que moi.

Manga_Suki
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 3 juil. 2016

Critique lue 344 fois

1 j'aime

Manga_Suki

Écrit par

Critique lue 344 fois

1

D'autres avis sur Le Cœur de Thomas

Le Cœur de Thomas
arnonaud
9

Critique de Le Cœur de Thomas par arnonaud

On le sait, les classiques du manga des années 70 ou antérieurs ne vendent pas trop chez nous, mais parfois des éditeurs soucieux d'éduquer le lectorat, de faire partager des œuvres géniales, nous...

le 5 juil. 2015

4 j'aime

Le Cœur de Thomas
Manga_Suki
9

" Ceci est mon amour pour toi, ceci est le battement de mon coeur"

Comment définir Le coeur de Thomas autrement qu'en utilisant le terme de merveille ? Un tourbillon de sentiments, d'amour, de haine, de répulsion et de désir qui embarque le lecteur au même titre que...

le 3 juil. 2016

1 j'aime

Le Cœur de Thomas
Fromtheavenue
6

Boy's love vintage

Découvert par hasard en librairie, c'est son côté vintage qui m'a plu. Ce volume regroupe ici trois tomes publiés la première fois de 1973 à 1975 au Japon. Effectivement, iI m'a fait pensé au film de...

le 6 déc. 2013

1 j'aime

Du même critique

It's Okay, That's Love
Manga_Suki
10

Critique de la meilleure surprise de 2014

Bon, autant vous prévenir tout de suite, cette critique va être longue, très longue. Parce que It's Okay, That's Love, c'est mon dernier gros, que dis-je, immense coup de cœur du moment. Diffusé...

le 2 nov. 2014

15 j'aime

Kiss Him, Not Me
Manga_Suki
3

Sois belle ou disparais de ma vue ?

Déposez votre cerveau à l'entrée, je commence par le pitch d'une série qui aurait pu, ma foi, ne pas être si mal : Kae Serinuma est une jeune lycéenne, fujoshi de son état (en gros, les homosexuels...

le 4 déc. 2016

14 j'aime

1

Tokyo Ghoul
Manga_Suki
5

Entre bonnes idées et vomissements...

Autant dire tout de suite les choses qui fâchent : la "goule mania" qui touche la sphère otaku depuis l'année dernière ne m'aura pas convaincue, pas avec cette adaptation du manga de Sui Ishida en...

le 13 juil. 2015

11 j'aime

1