Le Décalage, sixième tome des aventures métaphysiques de Julius Corentin Acquefacques, c’est un peu comme tomber dans une faille spatio-temporelle avec un livre en main : déconcertant, fascinant, et légèrement perturbant. Marc-Antoine Mathieu prouve une fois de plus qu’il est le roi des récits qui te font réfléchir, plisser les yeux, et remettre en question la réalité… ou au moins la page que tu viens de lire.
L’histoire (si on peut l’appeler ainsi) démarre dans un univers où tout semble décalé – littéralement. Les personnages évoluent dans un monde où les repères temporels et spatiaux se désagrègent, un peu comme un vieux poste de télévision qui aurait besoin d’un bon coup de poing. Julius, notre fonctionnaire de l’absurde, tente de s’orienter dans ce chaos, mais bien sûr, rien ne se passe comme prévu. En même temps, est-ce qu’il y a jamais un "prévu" dans cet univers ?
Visuellement, Mathieu est en pleine forme. Les cases, toujours aussi audacieuses, jouent avec la perspective, les ombres, et la mise en page d’une manière qui défie les lois de la BD traditionnelle. Les découpages et les décalages (coucou le titre !) ne sont pas juste là pour faire joli : ils participent pleinement à l’expérience de lecture, rendant chaque page aussi captivante qu’un tableau surréaliste. Certaines planches méritent carrément qu’on s’y attarde, comme un puzzle visuel qui refuse de livrer toutes ses réponses.
Le ton oscille entre humour absurde, satire subtile, et réflexion philosophique. Mathieu questionne les codes de la bande dessinée, mais aussi notre rapport au temps, à la mémoire, et à l’existence. C’est brillant, mais aussi un peu éprouvant. Le lecteur se sent parfois aussi perdu que Julius, ce qui est sans doute le but, mais peut frustrer ceux qui espéraient une trame narrative plus "classique" (spoiler : elle n’existe pas).
Le seul reproche qu’on pourrait faire à Le Décalage, c’est que l’expérience peut sembler un brin hermétique. Si tu es un fan de récits linéaires ou si tu espères une conclusion bien ficelée, tu risques de te heurter à une spirale infinie de questions sans réponse. Mais pour ceux qui aiment les œuvres qui défient les conventions, c’est un régal.
En résumé : Le Décalage est un chef-d’œuvre conceptuel qui pousse les limites de la bande dessinée et de la narration, tout en te faisant perdre pied dans un univers délicieusement absurde. Une lecture exigeante mais gratifiante, idéale pour ceux qui aiment se faire bousculer par leur propre lecture. Julius Corentin Acquefacques est peut-être un fonctionnaire, mais sa vie est tout sauf ordinaire… et c’est pour ça qu’on l’adore.