Dire que la dernière production de Marc-Antoine Mathieu est décalée n'est au premier abord pas très surprenant. Des BD où tout se passe en 3s, à la fable philosophique avec Dieu qui débarque sur terre, le garçon a su se démarquer de plus d'une façon. Mais là non, c'est différent. C'est décalé pour de vrai, au sens littéral du terme.

Je veux dire par là que vous prenez le support physique, le papier, l'objet livre, puis vous prenez le signifiant, les dessins, les mots, et enfin le signifié, le sens, le cours de l'histoire les dialogues. Vous mettez chacun de ces trois éléments sur une sorte de bobine, de rouleau qui lui est propre. Et puis au lieu de tout bien superposer comme il se doit, vous décalez tout ça, vous les faites tourner chacun à leur vitesse différente. Voilà, c'est ça cette BD, un vrai décalage, physique, graphique et sémiologique.

Et ça nous avance à quoi ? Bah surtout à rien … le constat s'impose vite, quand tout ça ne colle pas, quand le sens n'est pas au bon endroit, l'alchimie ne prend pas et il ne se passe rien ! Bon vous allez me dire on s'en doutait un peu, en BD il faut «la-parfaite-harmonie-du-fond-et-de-la-forme». Mais là Mathieu en donne un exemple empirique, une preuve constructiviste comme diraient les matheux.

Mais au delà de ce constat (ou démonstration donc), il pousse encore plus loin : que se passe-t-il quand, inexorablement, on rattrape le début ? Une sorte de paradoxe temporel peut-être, de recollement du temps dans une grande explosion ? Je vous laisse le découvrir, c'est un des procédé les plus originaux et les plus techniques qu'il m'ait été donné de voir en BD, ils ont du bien s'arracher les cheveux chez l'imprimeur. Car je vous rappelle que le décalage concerne aussi l'objet livre, il est physique, matériel, palpable. Vous allez tenir un paradoxe temporel dans les mains, et le vivre en live, c'est pas la classe ça ?

C'est là que ce volume touche dans le milles. La «thèse» peut paraitre un peu chiantosse comme ça, mais MAM (aucun lien je suis fils unique) la fait passer d'une traite en nous la proposant sous forme d'expérience, de jeu. Ajoutez la patte de Mathieu à l'écriture, avec toutes ces traits d'esprits, des plus fins aux plus débiles, et ce qui pourrait être un exercice de style sympathique devient un must-have. Je vous conseille de l'installer bien en évidence dans votre salon, afin de chichement crâner, lorsque vos amis qui, ne manquant pas d'être intrigués par la couverture, s'en saisiront pour le feuilleter rapidement. Alors ébahis, ils ne pourrons que décrocher un : «Ouah, ça a l'air génial ta BD !», et vous de répondre : «Oui, c'est une belle réflexion constructiviste sur le temps et l'espace». (Si avec ça vous chopez pas …)
Étienne_B
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 4 mai 2013

Critique lue 539 fois

3 j'aime

Étienne_B

Écrit par

Critique lue 539 fois

3

D'autres avis sur Le Décalage - Julius Corentin Acquefacques, tome 6

Du même critique

Comment j'ai détesté les maths
Étienne_B
1

Zéro pointé

J'ai deux problème avec ce film : j'aime le cinéma et j'aime les maths. Pour le cinéma c'est un loisirs du dimanche. Pour les maths c'est différent, je fais partie des fameux «bons». Pas seulement...

le 1 déc. 2013

42 j'aime

8

Dear White People
Étienne_B
7

Black Faces

Après une bande annonce qui annonçait de la comédie décomplexée, Dear White People tourne en fait vers le genre du jeu avec les images, avec les cliché et les attitudes véhiculées par les médias,...

le 9 avr. 2015

27 j'aime

Gagner la guerre
Étienne_B
5

Tu l'as vu mon gros style ?

Sur bien des points, je rejoins tout ce que vous pourrez lire ce livre : personnages géniaux, scènes épiques, monde fascinant etc. Bref, c'est un bon bouquin. Un bon bouquin entaché d'un bon...

le 24 juin 2017

25 j'aime

10