Sur bien des points, je rejoins tout ce que vous pourrez lire ce livre : personnages géniaux, scènes épiques, monde fascinant etc. Bref, c'est un bon bouquin. Un bon bouquin entaché d'un bon gros défaut ; un style hyper démonstratif, à tendance putassier.
Pas de doute Jaworski sait manier la langue. Vous en verrez des chausses, des pourpoints, des descriptions de pommeau d'épée, de plaie suintante, de cris de douleurs, vous battrez le carton dans les coupe-gorges et les venelles etc. C'est bien simple, chaque coup d'épée est précédée d'une revue de mode, puis suivie d'une analyse chorégraphique, dans un langage savamment désuet aux tournures maniérées.
Au début ça plante bien le décor, par moment je trouvais ça un peu long mais passe, à la fin—que je n'osais même plus espérer—certains paragraphes me criait que je venais de commencer la traversée du désert. Encore des fringues, encore un rituel magique à n'en plus finir, encore 12 000 milles coup de poings dans la gueule de Benvenuto qui va te décrire chaque filet de sang… Elle est bien ton histoire, mais qu'on en finisse bordel !
Enfin qu'on en finisse… ou pas, hein, parce que ce n'est pas vraiment un livre prévu pour être fini. D'abord il y a toutes ces portes qu'on a longuement ouvertes, Sassonos, Lusigna, les efles, le passé de Benvenuto, le fait qu'il devienne célèbre … pour les balayer d'un revers de main. Et puis il y a tous ces passages réflexifs où Benvenuto s'adresse au lecteur. Il a un plan, il le dit, l'écriture même du récit est une trahison et il nous dupe, il le dit. Toute une mise en abîme qui laissait présager d'un grand dénouement… llà aussi, balayé d'un revers de main.
Alors là, je sais très bien ce que vous allez me servir : «Ça laisse ouvert à de multiples interprétations», «La part de mystère c'est vraiment trop cool», «Tu te rends compte toutes ces forces de l'ombre qu'on ne saisira jamais ?». Mon cul. Pour la magie et l'enfance du héros, passe encore. Pour le chapitre entier de mise en abîme, j'achète plus et j'ai une explication bien plus simple. C'est une frasque stylistique supplémentaire, qui ne sert qu'à captiver le lecteur. C'est en le refermant qu'on comprend que le bouquin n'a qu'un unique but : vous faire passer une page de plus en immersion dans ce monde. Le reste—les complots, la politique, le pouvoir métaphorique, la psychologie des personnages—rien à foutre, il ne sont que des moyens de rester plongé dans le monde. Il y a un public pour ça, Jaworski le drague ostensiblement. Désolé, moi j'aime bien quand il y a une fin qui nous invite à prendre du recul sur tout ce qui s'est passé, pas juste à regretter que ce ne soit pas plus long—je commençais à avoir les muqueuses irritées de toute façon.
Gagner La Guerre est un très bon livre, ce que l'auteur passe la moitié du temps à vous rappeler bien lourdement. Dommage, j'en viens du coup à questionner les motifs de l'écriture.