Tu sais Benvenuto, à trop fricoter avec la camarde, on finit par s'y habituer. Et il n'est jamais bon d'être trop proche de quelqu'un dans notre partie.Tu sais bien qu'un surin se dissimule aussi bien dans une manche que la vérole via Maculata. Signer des mémoires quand on est au service de la guilde des Chuchoteurs et du podestat Ducatore, c'est signer un arrêt de mort. Es-tu las de cette vie Benvenuto ? J'avoue, lorsque Dagarella m'a insinué que tu noircissais du vélin avec tes tristes aventures, je lui ai ri à la barbe. Impossible que Don Benvenuto Gesufal, un chuchoteur des plus expérimentés puisse livrer par écrit une telle invitation à ses propres funérailles.
Pourtant, tu sais que j'avais plutôt de la sympathie pour toi. Quand on s'est rencontré à Ciudalia, la guilde ne nous avait pas encore alpagués. On draguait les ruelles pour donner de la rondeur à nos existences de basses fosses, on jouait du couteau sous les gorges comme d'un archet sur du boyau pour que parfois, la crasse et la merde soient plus acceptables. Et pourtant, déjà là, je sentais que tu fricotais avec les arts. Quand tu t'es fait calfeutrer par le Macromuopo, j'ai pensé que tu allais troquer ton âme de surineur contre celle d'un barbouilleur de palais. Si je concevais malgré tout que tu puisses révéler un quelconque talent de peintre, je savais que tes chefs d’œuvre ne s'encadreraient qu'en gammes monochromatiques, à forte dominante vermillon, étalés au couteau et non au pinceau.
Et puis quelques uns de tes livrets me sont tombés dans les mains. Je dois dire que je ne m'attendais pas à ça. Pour un chuchoteur, tu as bien trop attiré l'attention. Tu sais pourtant que nous sommes des gens d'ombre, la lumière est une maîtresse dont nous devons à tout prix redouter les caresses. Mais je devine qu'être au service de la maison Ducatore attire forcement ce genre de désagrément. Benvenuto, je dois te confesser que le récit de tes derniers mois d'existence m'a quelque peu subjugué. Choir avec une telle célérité dans les emmerdes après avoir reniflé les fragrances de miel des anges de Ciudalia, il faut posséder une sorte de don. Tu as beau être un sanguin, il serait bon que tu apprennes à canaliser plus efficacement ton flux vers le cerveau plutôt que vers tes poings ou ton entre jambe. Tu aurais pu éviter ainsi bien des contrariétés. Pourtant, au fil de ton récit, tu montres bien que tu sais cogiter, que ta cervelle n'est pas qu'un élément décoratif. Mais je suppose que se frotter au gratin de la république ne peut se faire sans des contreparties douloureuses. A trop côtoyer les serpents, on devient soi-même un peu venimeux.
Benvenuto, je dois dire que tu sais manier le verbe. Je ne t'imaginais pas aussi virtuose dans l'escrime de la langue. Si par moment tu t'es laissé aller à quelques gargarismes littéraires, hissant trop haut les voiles de l'emphase, ta plume a toujours su me chatouiller la curiosité et l’intérêt. Si j'avais eu quelque accointance avec la chose poétique, une larme ou deux auraient pu me creuser la ride. Tes portraits affûtés de la faune ciudalienne m'encourageront certainement à ne plus souhaiter croiser à nouveaux le chemin de certaines personnalités, Leonide Ducatore et son éminence grise Sassanos en tête. Après tout ce que tu as pris dans la gueule, revenir courtiser la vieille Ciudalia prouve bien que les promesses d'acier dans la panse comptent peu face aux atours crénelés d'un amour de jeunesse.
Je ne sais si tes confessions ont enflammé d'autres prunelles, abrégeant par ce biais bien des existences. Pour ma part, je me terre à Bourg-Preux, profitant de ta mauvais expérience du lieu pour m'y faire oublier efficacement. Me tenir loin des elfes et des tavernes me semble un bon point de départ pour rallonger ce qui me reste de vie. J'ignore si cette missive te trouvera mais sache qu'à notre prochaine rencontre, si elle doit venir un jour, j'hésite encore à te remercier ou te tuer. Et ne t'avise pas de crever avant de m'avoir revu, enfoiré !