Divagation d'un savant sur l'Orénoque

Si d'aventure je devais donner corps à la vie du génial explorateur touche-à-tout, je choisirais vraisemblablement de montrer ses tribulations de jeunesse, partagées avec son compagnon de route Aimé Bonpland, en Amérique Latine. Pour illustrer leur périple, je ferais évoluer les deux explorateurs armés de filets à papillons dans un tableau du Douanier Rousseau. Les deux auteurs ont choisi une approche toute différente et ont gagné leur pari. Ils ont préféré ranimer un Humboldt vieillissant, voire spectral, en proie aux fantômes du passé. Ce choix était aussi celui adopté par Daniel Kehlmann dans son admirable ouvrage imaginant la rencontre de Gauss et de Humboldt. Toutefois, si les Arpenteurs du monde restaient paradoxalement prisonniers de la vieille Europe, l'Alexandre de Froissard et de Le Roux est ramené sur le terrain par le surgissement du carnet d'un mort. Alexandre, tel Tintin à la poursuite de Tchang Tchong-jen, est intimement convaincu - et contre tout ce que lui dicte la raison -, que son ami Bonpland, à qui appartenait le carnet, est toujours en vie. Tintin était prêt à partir à l'autre du bout du monde pour rechercher Tchang ; Alexandre est prêt s'il le faut à partir dans l'autre monde. Le deuxième choix a priori déconcertant est celui des couleurs employées pour donner vie à un monde foisonnant - des couleurs qui sembleraient plus appropriées pour illustrer le plus noir conte de Poe. Et pourtant, on se laisse transporter avec plaisir à fleur d'Orénoque tellement c'est inventif. Certaines cases semblent être un tableau de William Turner et on se retrouve l'instant d'après au Museum National d'Histoire Naturelle. Les traits des personnages, en particulier du Chevalier, sont très réussis et participent à l'effet comique. Magistral !