Un dessin, quel dessein ?
Cet album de Marc-Antoine Mathieu est étonnant à plus d’un titre. En 3 chapitres qui se lisent rapidement, l’histoire fait le tour des obsessions de son auteur dans un noir et blanc de toute beauté et un récit peu bavard où l’essentiel des planches ne comporte que deux vignettes occupant chacune toute la largeur.
Le récit est constitué essentiellement d’une sorte de voix off commentant les vignettes. C’est l’histoire d’Émile, un homme ayant environ la quarantaine qui est confronté à la mort brutale d’Édouard son meilleur ami. Édouard et Émile avaient l’habitude de longues discussions philosophiques sur l’art et la vie. Émile reçoit une lettre posthume de son ami où il lit « Rien n’est plus vrai : l’art ne sert qu’à rendre la vie encore plus intéressante que l’art. » Dans l’enveloppe, une clé, objet on ne peut plus symbolique. Cette clé ouvre un entrepôt où Édouard découvre les trésors artistiques conservés par son ami. Une véritable caverne d’Ali Baba. Dans sa lettre, Édouard l’a invité à choisir un objet en son souvenir, avec la recommandation « Oublie l’esthétique, et quand tu devras choisir parmi ces vieilleries, ne prends que celle qui te plaira… » Émile choisit un dessin en noir et blanc intitulé « Réflection ». L’orthographe l’intrigue. Il découvre que ce dessin est d’une finesse infiniment supérieure à ce que le style fort conventionnel pouvait laisser supposer…
Relire cet album de Marc-Antoine Mathieu aujourd’hui est l’occasion de réaliser que l’idée directive du récent 3’’ était déjà présente ici, sous une forme qui n’est qu’une déclinaison différente. Les surfaces réfléchissantes des objets du dessin sont déjà autant d’occasions de révéler bien d’autres perspectives. La trame fait irrésistiblement penser à « Un cabinet d’amateur », court roman de Georges Perec où le facétieux amateur de jeux littéraires s’amusait à endormir l’attention de son lecteur pour mieux le surprendre lors de sa pirouette finale. Ici aussi la mise en abîme est vertigineuse.
L’ambition de Marc-Antoine Mathieu ressemble fort à celle de Perec (encore lui) dans « La vie mode d’emploi » ce roman situé dans un immeuble parisien où la description de la vie de quelques individus est un concentré de l’humanité toute entière. Le pari est ici une véritable gageure rendue possible par le jeu des différents points de vue imaginés. C’est audacieux et bien fait. On pourra tout juste regretter que la chute soit interprétable à l’infini. Mais n’en est-il pas de même de tout ce que nous observons dans la vie de tous les jours ? L’auteur s’interroge sur l’essence de la vie. Il affirme avec une belle maîtrise que l’art a quasiment réponse à tout en illustrant magistralement une phrase que chacun peut comprendre comme il le veut. L’album agacera ceux qui veulent qu’on leur donne une explication toute faite. C’est sa limite. De même qu’on pourra dire que le hasard est trop bien guidé. Mais, contrairement à l’art moderne qui ne peut pas se passer d’un discours explicatif, l’art de Marc-Antoine Mathieu s’apprécie tel quel. Tout juste pourra-t-on regretter que le personnage d’Émile soit bien seul. Cela pourrait sonner comme l’illustration de la nostalgique et bouleversante chanson de Fabienne Thibeault « On vit les uns avec les autres … Mais au bout du compte, on se rend compte qu’on est toujours tout seul au monde. »
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