Le Dessin
7.8
Le Dessin

BD franco-belge de Marc-Antoine Mathieu (2001)

Marc Antoine Mathieu est un auteur conceptuel. Dans Julius Corentin Acquefacques et Mémoire morte, œuvres magistralement réflexives et ludiques, il dépeint essentiellement des mondes ou des dogmes plutôt que des héros (s'il est possible de parler de héros tant les protagonistes, dépersonnalisés et neutres, se conforment passivement au système). Le dessin est une création qui se révèle davantage affective. Si l'on retrouve avec plaisir les audacieuses récréations métaphysiques et oniriques propres à l'artiste, en revanche, l'absence d'absurde et l'émergence d'une humanité inhabituelle dans son univers s'avèrent déconcertantes.

En effet, cela m'a un peu gêné. Je n'ai pas réussi à éprouver une empathie tout entière pour ce personnage qui voue son existence à la quête d'une amitié disparue. À travers la résolution de l'énigme proposée par ce tableau, gage de son ami défunt, ne faut-il voir qu'un éloge de la fuite ? L'itinéraire d'Émile vers la révélation n'est-il qu'une simple évasion de la réalité au travers de sa représentation ? Je suis resté assez circonspect devant sa démarche. Pourtant, je demeure admiratif devant cette nouvelle mise en abyme, l'exploration quasi infinie d'une gravure à la perspective exponentielle dont chaque détail, en apparence insignifiant, donne naissance à un nouveau macrocosme. Une expérience qui, au-delà de sa conclusion herméneutique, débouche sur le savoureux questionnement poétique et intellectuel du rapport de l'art au réel. Des envolées psychologiques néanmoins inabouties, émotionnellement parasitées par une narration plus palpable, presque plaintive, dont le perpétuel sentiment de tristesse et d'abandon n'a fait que glisser sur moi sans me toucher tout à fait.

Je ne ferai pas la fine bouche. Le plaisir spirituel est, encore une fois, fréquent et se double de délicieuses nourritures graphiques. Un somptueux noir et blanc toujours aussi tranché, profond et lumineux, dont la traditionnelle impersonnalité prend quelquefois d'étonnants airs de complicité dans les cadrages ou les gros plans. Cependant, il me manque un je ne sais quoi...

Une œuvre qui nécessitera certainement plusieurs relectures, dans différents états d'esprit.
Sejy
8
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le 19 août 2011

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Sejy

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