Cet album présente la première des deux aventures d’Ergün l’errant (l’autre étant Le Maître des ténèbres), un terrien condamné à errer à perpétuité dans l’espace parce qu’il a osé se révolter contre les dirigeants acceptant que les guerres envahissent encore et toujours la planète


Avec son abondante chevelure blanche, Ergün arbore les traits d’un homme de la soixantaine (il apparaîtra plus jeune dans Le Maître des ténèbres). Seul à bord d’un vaisseau spatial qui a tendance à se déglinguer, il atterrit en urgence sur une planète inconnue dont il va apprendre qu’on l’appelle Shé (Guevarra ?). À la recherche d’une aide, il empêche un Wakra (sorte d’indien sur une monture à l’aspect de reptile géant), d’achever un bébé-fleur sans défense.


Une planète divisée


Une femme-fleur est intervenue pour sauver la mise à Ergün. Elle l’emmène dans son pays où Ergün découvre une cité bien camouflée, puisqu’elle court au-dessus de la cime des arbres. Présenté à Perle, la reine des femmes-fleurs, Ergün épouse sa cause. Les femmes-fleurs sont en guerre depuis au moins un siècle contre les Wakras, depuis que ceux-ci vivent sous la domination du Dieu vivant. Bien entendu, Ergün cherche à en savoir plus sur ce Dieu vivant et les circonstances vont lui permettre de comprendre progressivement de quoi il retourne. La lutte aux côté de Perle sera épique, tous deux risquant le pire dans les geôles contrôlées par ce Dieu vivant.


Une SF de l’époque des années 70


Plus anecdotique que l’autre album des aventures d’Ergün l’errant (car dépourvu de tout caractère ésotérique), mais plus porté sur l’action, Le Dieu vivant devrait néanmoins intéresser les admirateurs (admiratrices) du futur dessinateur de Silence et quelques autres albums dans la même veine en noir et blanc. Ici, Dieter Herman Comès (son vrai nom, souvent francisé parce qu’il a trouvé sa voie dans la bande dessinée franco-belge) explore une toute autre veine dont il aurait peut-être poursuivi l’exploration s’il n’avait pas trouvé le succès (dans les années 80) avec le style en noir et blanc qu’on lui connaît bien désormais. Ici, on trouve un univers à tendance SF et surtout fantastique, avec des décors très travaillés et mis en valeur par des couleurs psychédéliques. Malgré une influence du côté de Philippe Druillet pour l’aspect monumental de certains décors (et dans une moindre mesure, des séries Valérian, Philémon et Rahan pour quelques détails), on note immédiatement un aspect personnel identifiable avec le dessin très soigné et fouillé, ainsi que des obsessions comme la mort (et son antidote que pourrait représenter l’élixir de la jeunesse éternelle), un certain type de beauté féminine (et de l’amour, son pendant auquel le héros semble penser ne pas avoir droit, alors qu’il se comporte en preux chevalier) et un aspect onirique qui apporte un charme typique.


Émergence d’un style personnel


Cet album arbore le charme un peu naïf des premières amours (la SF) d’un futur grand de la BD. Il dessine déjà comme un Dieu (d’ailleurs, la page de garde prête à sourire, car sur fond noir, au-dessus du dessin d’illustration, dans un cadre, sous l’indication UN AUTEUR (A SUIVRE) on lit COMES sur la deuxième ligne et LE DIEU VIVANT sur la troisième (même lettrage, juste un peu plus petit). Il faut dire que Comès en met plein la vue à son public. Les décors dépaysants crédibilisent immédiatement le scénario (Comès assume tout dans cet album, dessin, scénario, couleurs), même si quelques détails très fleur bleue (tendance baba-cool) sonnent un peu naïvement aujourd’hui, ils contribuent à dater l’album (copyright indiqué de 1980, sur l’album que je conserve depuis longtemps, mentionnant deuxième édition, alors que deux dates indiquent que la conception de l’album date de 1970-1971). Ergün tombe bien vite amoureux de la reine des femmes-fleurs. La perle des femmes ? L’attitude d’Ergün vis-à-vis des femmes est ambigüe, puisqu’il fantasme avec volupté sur une somptueuse créature féminine dont il cherche à savoir s’il s’agit d’une femme de chair et de sang ou simplement une sorte d’idéal fantasmé ne peuplant que ses rêves. On remarque au passage que dans son malheur, Ergün atterrit quand même sur une planète à l’atmosphère respirable et peuplée d’êtres humains avec qui il peut dialoguer sans le moindre souci.


Une esthétique originale


Le dessin est donc de grande qualité et Comès connaît déjà bien les possibilités du medium BD. Son organisation des planches est un régal, avec une grande variété de tailles de vignettes, pour le plus grand plaisir du lecteur qui apprécie à sa juste mesure quelques moments forts mis en valeur par des décors monumentaux et des couleurs à la hauteur. Dans l’ensemble, le noir qui domine le fond met parfaitement en valeur l’ensemble, en particulier les vignettes de plus grandes tailles. Quant au scénario, il ménage pas mal de surprises (dont quelques créatures étranges), tout en maintenant le suspense sur plusieurs niveaux. En tout juste 44 planches, Comès réussit à présenter les différentes facettes de ses personnages principaux, tout en nous emmenant dans un univers assez personnel et original, sans oublier le final destiné à ménager une suite logique.


Critique parue initialement sur LeMagduCiné

Electron
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le 6 août 2020

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