Partie 1 : https://www.senscritique.com/bd/jujutsu_kaisen/critique/305147862
Partie 2 : https://www.senscritique.com/bd/Je_vais_te_tuer_Jujutsu_Kaisen_tome_4/critique/305151009
Partie 3 de ma critique sur le manga Jujutsu Kaisen. Obligé de la couper en 4 car on est plus à l'étroit dans l'espace critique de ce site que dans une bulle de dialogue d'une scène d'exposition d'un chapitre de Togashi période scoliose du septième cercle de l'enfer.
Arc du drame de Shibuya :
Sous-Parties :
- 1. Shibuya Wyrd
- 2. Caractérisation et flux de combat
- 3. Le requiem des non-humains
1. Shibuya Wyrd
Le voilà le gros morceau ! Un éclair en bouteille !
Le génie incontesté ! Le classique instantané !
L’arc qui pour beaucoup a le potentiel de faire rentrer Jujutsu Kaisen au panthéon des meilleurs manga de tous les temps.
Mon avis ? Il y a moyen.
Mais si vous le permettez puisqu’on est là pour proposer une analyse, je vais quand même développer un peu plus.
Puisque lors de l’arc précédent je me suis directement attaqué aux thématiques on va cette fois faire l’inverse et commencer par parler de tout ce qu’il y a d’assez génial dans cet arc, tout ce qui pose le cadre grisant au sein duquel va se dérouler l’arc de tous les superlatifs.
Et pour ça, l’on va commencer par parler du « décor » de cet arc, de son environnement.
Chose promise chose due, c’est le grand retour de l’urban wyrd !
Ça ne vous aura pas échappé (c’est dans le titre les gars faites un effort…) les événements de l’arc de Shibuya seront limités au fameux quartier nippon de Shibuya.
Déjà Il y a quelque chose d’assez atypique pour un manga d’action fantastique d’identifier clairement l’un des quartiers les plus célèbre de Tokyo comme le point névralgique d’un de ses arcs majeurs. Le manga Tokyo Ghoul de Sui Ishida vient aussi à l’esprit bien sûr, mais son découpage géographique est encore différent préférant une représentation par arrondissement plutôt que par quartier qui aime nous perdre dans les méandres d’un Tokyo romancé.
Dans le cas de Jujutsu Kaisen le décor de l’arc du drame de Shibuya ne cherche pas à nous perdre, au contraire, il veut nous présenter une réalité fidèle à la nôtre, une réalité palpable. Des noms de station de métro, à la tour Hikarie, en passant par le Shibuya Stream, jusqu’à aller préciser le niveau et le quai de la ligne de métro où se déroule l’action. Jujutsu Kaisen veut nous obliger à regarder en face la terreur qui va peu à peu prendre possession d’un quartier de Shibuya qui est aussi le nôtre, le Shibuya de notre monde. Tout cela avec une fidélité visuelle si poussé qu’il serait sans doute possible de visiter dans notre réalité nombre des endroits qui dans le manga d’Akutami tiennent lieu d’arène pour nos protagonistes.
L’on retrouve ici ce procédé favori de l’horreur urbaine qui use de la perturbation de notre perception d’un lieu familier pour créer un sentiment de décalage mêlant inquiétude et malaise qui est mieux capturé que par d’autres par le mot anglais « eerie ». Une inquiétante étrangeté qui comme je l’ai déjà mentionné plus haut est encouragé par la conjecture d’un esprit soucieux qui imagine (ou non) que quelque chose qui ne devrait pas être là s’est pourtant manifesté.
Le 31 Octobre 2018 à 20 h 14 à Shibuya, les fléaux se sont manifestés. Un groupe de fléaux surpuissant ont laissé parler leur nature profonde et ont entraîné dans leur parade macabre des centaines de non-exorcistes qui vont trouver la mort dans d’atroces souffrances.
Cette peur qui va alors s’emparer des fêtards de Shibuya cette nuit-là c’est la peur de l’existence de quelque chose qui ne devrait pas être. Ce qui sommeillait juste derrière l'ordinaire s’est enfin fait connaître, comme un mur dont la peinture commencerait à s'écailler et qui au travers de ses imperfections laisserait entrevoir la vision d'un autre monde si proche et pourtant si différent.
La psychogéographie discipline qui, grossièrement, a pour but d’étudier les effets de la géographie sur notre comportement affectif et vice-versa, nous apprend qu’un des sentiments les plus à même de transformer la perception de notre environnement est justement la peur. En ancrant Shibuya dans la réalité de l’histoire humaine comme le centre d’événement horrifique les fléaux se réapproprient le quartier. Cette opération et la peur qu’elle suscite force ainsi les humains à se sentir étranger au sein de leur propre monde.
En plaçant le lieu de leur assaut à Shibuya les fléaux ne cherchent pas seulement à compliquer la tâche aux exorcistes ils envoient un message : « Nous existons, ce monde est le nôtre, notre reconquête à débuter. »
Mahito, Hanami et Gojo ne s’en sont jamais caché leur objectif est de remplacer les humains, de ne plus vivre dans leur ombre et de leur reprendre tout ce que les non-exorcistes ont pris pour acquis jusqu’alors, à commencer par leur espace. Ce n’est pas pour rien qu’Hanami, Gojo et Dagon sont pour ainsi dire des manifestation malignes des types d’environnements qui souffrent le plus de la présence humaine, Hanami pour la forêt, Dagon pour la mer et Gojo pour la terre.
Le choix de Shibuya comme lieu de l’attaque est donc hautement symbolique. Un fameux quartier populaire siège d’une humanité grouillante va tomber aux mains des fléaux des entités habituellement reléguées aux coins les plus obscurs de la grande ville et les plus refoulés de l’esprit de chacun.
Et peu à peu par l’influence du bizarre et de la peur les fléaux vont regagner du terrain sur ce monde qui les ignore, peu à peu, ils vont rendre leur propre monde étranger aux yeux des humains.
Shibuya est dominé par les fléaux, par cette étrangeté rampante qui impose sa victoire sur la norme.
Le lecteur aussi prend peu à peu conscience de ce basculement et se voit pour l’y aider proposer un grand nombre de visuels qui s’approprient intelligemment cette atmosphère de flottement pour renforcer le caractère anormal de ce à quoi il assiste.
On peut citer à titre d’exemple dans le chapitre 117 l’image hypnotisante d’un Megumi poursuivi par Haruta au beau milieu d’un croisement de Shibuya vide de monde alors que celui-ci est pourtant célèbre pour être l’un des lieux de passage piétonnier les plus fréquentés de la planète. On peut aussi mentionner le métro, bien sûr, dépeint avec une fidélité quasi-photographique qui grouille habituellement d’activité mais est ici dénué de toute vie. La tour Hikarie à l’inverse et plus précisément son centre commercial, Sinqs, voit s’agglutiner en son sein un nombre exagérément élevé de personne déboussolé et anxieuse, incapable de se déplacer. L’on a là une autre proposition de Jujutsu Kaisen pour traduire cette inquiétude étrange propre à ce qui ne devrait pas être, la forme diffère mais le sentiment qu’il traduit reste le même.
La raison pour laquelle ces visuels ont quelque chose de si pénétrant est parce que ceux-ci apparaissent comme anormaux pour les non-exorcistes pour les mêmes raisons que ceux-ci nous apparaissent anormaux à nous lecteurs. Ils sont anormaux à l’aune de ce que l’on sait de notre monde, un monde qui par sa représentation se confond volontairement et de façon fort signifiante avec celui dans lequel Jujutsu Kaisen nous immerge.
Comme dit plus avant les non-exorcistes sont ici étranger dans un monde qui est pourtant le leur.
Dans l’enceinte de ce Shibuya surréel ils ne sont rien d’autre que de la piétaille ballottée par les fléaux d’un événement à l’autre sans avoir leur mot à dire. Ironiquement, ils ne sont là, chez eux, que parce que les fléaux leur ont permis de l'être. Ce qui est exprimé visuellement de façon particulièrement signifiante par la présence de barrière occulte placée par leurs bourreaux qui, selon les besoins, empêchent les humains d’entrer ou de sortir de la zone. On a ici affaire à une autre appropriation forte à propos d’un code de l’occultisme souvent mobilisé dans les légendes urbaines, à savoir la notion de liminalité. En anthropologie, un espace dit liminal est généralement une zone dont l’entrée et la sortie dépende d’actions symboliques précise et au sein de laquelle va se tenir un rituel qui une fois achevé donnera naissance à quelqu’un ou quelque chose de nouveau. Déjà apparus lors de l’arc « Instinct Grégaire » au moment où les exorcistes traversent la rivière pour pénétrer dans l’antre du fléau qu’il recherche la notion de liminalité est on ne peut plus à propos au cours de l’arc du drame de Shibuya. De fait, non content de revendiquer le territoire de Shibuya les barrières posées par les fléaux liminalise le célèbre quartier de Tokyo faisant de celui-ci la matrice de grand bouleversement à venir. Chose on ne plus logique lorsque l’on prend conscience que celui qui remportera la guerre qui fait rage au sein de cet espace liminal décidera très probablement du sort du monde.
Pour conclure là-dessus, si l’urban wyrd/l’horreur urbaine se marrie si bien avec Jujutsu Kaisen c’est parce qu’il fait écho par le biais de ses visuels, comme par le biais de l’atmosphère qu’il installe, à nombre des thématiques de l’œuvre d’Akutami : cette limite subtile entre réalité et surréalité, cette idée qu’humain et esprit sont les deux faces d’une même pièce, l’image de la ville comme catalyseur agissant des angoisses modernes…
Cette étrangeté dont je parle depuis plusieurs lignes, cette pulsation sinistre qui bat sous les pieds des citadins à la manière d'un cœur monstrueux sans que pourtant ils ne s'en rendent compte a besoin du mondain pour s'exprimer. N’avons-nous pas là une parfaite analogie avec les fléaux qui eux aussi ont besoin des humains pour voir le jour ?
Non, vraiment, l’horreur urbaine et Jujutsu Kaisen c’est une histoire d’amour prédestiné et la façon dont le manga d’Akutami réadaptera à sa façon certains traits de cette terreur moderne fera beaucoup pour l’unicité de son histoire.
L’univers que dépeint Jujutsu Kaisen est banal entend-on parfois, l’interlocuteur de répliquer : « c’est normal, c’est le nôtre ». Ce à quoi je répondrais que c’est précisément parce qu’il s’agit du notre dans le contexte de son histoire que l’univers de Jujutsu Kaisen est on ne peut plus singulier. Et je serai très heureux si mon analyse dudit univers a convaincu certain de lui accorder plus de crédit.
2. La caractérisation et le flux de combat
Maintenant, maintenant, maintenant… Maintenant !
« nqinqieeuiifefiffefef^foôôôôôôoqqqoqqoqoffufofméHFBHi" »
Et voilà, après avoir posé les yeux sur cette formule, vous voilà lesté de très exactement 6, 90 grammes, non, non, ne me remerciez pas, ça me fait plaisir.
Où-sont-ils passés me demandez-vous ? Ils ont été transférés aléatoirement à une des cinq espèces de locuste les plus grosses présentes sur notre planète.
Que dieu nous vienne en aide.
Restons concentré…
Vous l’aurez remarqué l’arc du drame de Shibuya introduit ou mobilise un certain nombre de personnages qui n’avaient jusqu’alors eu que peu ou pas d’exposition.
Lorsqu’il est question de caractérisation je m’empresse souvent de mentionner mon champion dans ce domaine à savoir Bleach qui est encore aujourd’hui, à mes yeux, inégalé dans cette catégorie. Mais je dois bien avouer que Jujutsu Kaisen a lui aussi d’excellent argument à faire valoir lorsqu’il est question de mettre en valeur ses protagonistes.
J’irais même jusqu’à dire que cela faisait un certain temps que je n’avais pas senti cette aura magnétique affecter un si grand nombre d’individus au sein d’un même manga.
C’est indubitable Jujutsu Kaisen a lui aussi été bénie avec cette capacité à rendre (presque) chaque personnage important à leur manière, à leur faire prendre corps puissamment malgré le peu de temps qui leur est parfois réservé. Que ce soit par leurs pouvoirs, leurs interactions, leur chara-design, leur caractère, leurs actions ou leur philosophie il y a presque toujours un ou plusieurs éléments de leur caractérisation auquel se raccrocher pour légitimement hisser au pinacle son petit préféré.
Par exemple, moi, j’aime beaucoup Atsuya Kusakabe.
Ouai, ouai, même qu’il est sur la couverture du tome 13 si ça peut te rafraichir la mémoire.
Je trouve que son caractère flemmard et en apparence lâche fait de lui une figure insolite au sein du corps des exorcistes. De plus, son usage du territoire simple, l’arme des exorcistes qui redoutent les spécificités de l’exorcisme, vient souligner avec une élégante justesse sa philosophie de tueur de fléaux par nécessité et non pas par idéologie. Sans parler de son charismatique chara-design qui est aussi celui d’un homme relativement âgé chose déjà rare en soi au sein d’un milieu où il est commun de ne pas faire de vieux os. Son air de vieux renard mis en parallèle avec son caractère avisé en dit ainsi long sur l’expérience et la prudence qui lui ont permis de survivre jusqu’à aujourd’hui. J’aime beaucoup Atsuya (croisons les doigts pour qu’il ne meure pas).
Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autre et soyez sûr que j’aurai d’ailleurs pu approfondir encore davantage le cas de ce bon Atsuya.
Il est sympa Atsuya, je l’aime bien.
Atsuya Kusakabe, l’exorciste… Vous savez ?
…
Avançons.
À cette fantastique caractérisation vient s’ajouter un autre élément saillant de Jujutsu Kaisen qui va laisser parler son plein potentiel au cours de l’arc du drame de Shibuya, un autre élément que j’appellerai, à défaut d’un meilleur terme, le « flow de combat ».
Lorsque dans un manga il est question d’un affrontement à grande échelle je suis toujours très intéressé par la façon dont celui-ci nous est présenté.
Il y l’approche Saint Seiya dans l’arc du sanctuaire qui consiste à traiter chaque affrontement comme un duel sacré en un contre un, qui une fois remporté apporte des bénéfices direct au groupe tout entier, il y a une approche plus « Dragonballesque », dirons-nous, où tous les combattants disponibles se ligue contre l’ennemi le plus proche quitte à faire du 6 contre un, et on a aussi l’approche de One Piece à Enies Lobby, à mi-chemin entre les deux autres que je viens de mentionner, qui consiste à désigner un rival clair pour chaque protagoniste mais « permet » néanmoins les ingérences de certain d’entre eux au sein du duel de leur camarade si l’occasion se présente.
Chacune de ses approches à bien évidemment ses points fort et ne sont pas exclusive à telle ou telle œuvre.
Dans le cas de Jujutsu Kaisen ce qui saute aux yeux c’est le mélange de ces différentes approches, mais surtout l’impeccable flow de combat qui les relie les unes aux autres.
J’appelle ici flow de combat la qualité que ces combats ont à se dérouler avec fluidité, mais aussi à étendre cette fluidité à celui qui suit, l’un menant naturellement à l’autre à la manière de rivière qui une à une rejoigne le cours d’un fleuve jusqu’à se jeter dans la mer. Tous ces combats ont leur particularité mais ils soutiennent tous ensemble le grand projet de l’arc de Shibuya, celui de dépeindre une guerre dramatique et éclair en plein cœur d’un des plus célèbres quartiers de Tokyo avec tout ce que cela implique d’escarmouche, de barrage, de communication, de piège et de charge effréné.
Pour renforcer cette connexion entre les événements autant que leur caractère immédiat et imprévisible les personnages vont se grouper, puis se séparer pour ensuite se retrouver, faire des rencontres, bonnes ou mauvaises, aux détours d’une ruelle ou d’un passage souterrain, obtenir des informations parcellaires et repenser leur stratégie, numéroter leurs abatis et soigner leurs blessés…
Tout cela donne un enchaînement d’événements très organique, très fluide et sans temps mort, on sent bien la progression des exorcistes au sein d’un Shibuya devenue étranger où le danger est omniprésent, on sent les avancées significatives accomplies par chaque protagoniste à son niveau qui permet de regagner du terrain et change subtilement la balance des forces en présence. Bien qu’ils aient un objectif commun, les personnages impliqués ont ce statut d’électron libre et avance en faisant appel à leur propre jugement, selon leur propre limite, couplé à l’excellente caractérisation dont j’ai vanté les mérites plus haut, on a là de quoi accorder une importance significative à chaque instant de cet arc saisissant.
Pourtant, cette progression nous est contée presque exclusivement à travers des affrontements qui se suivent à grande vitesse, on pourrait alors craindre une certaine saturation, mais il n’en est rien, au contraire grâce à ce flow de combat Jujutsu Kaisen fait des affrontements un vecteur narratif total, les affrontements sont le langage privilégié de l’arc du drame de Shibuya. Ces combats élèvent les thématiques du manga, participent à son atmosphère, transforme ses personnages et mobilisent à la perfection les spécificités de son univers pour accoucher d’un arc d’une virtuosité remarquable et remarqué, dont la complétion impeccable nous rappelle avec autorité qu’il est la somme de ses parties et que l’on doit donc à sa maîtrise de tous les instants de ce flow narratif de génie le prodige auquel l’on vient d’assister. Soyez-en sûrs lorsque vous en serez témoin, les duels de l’arc du drame de Shibuya portent bien haut les couleurs sombres du manga d’Akutami, qui plus est avec une classe qui n’a d’équivalence que leur unicité.
3. Le requiem des non-humains
Bon là on arrive à la partie où je devrais traiter des thématiques de l’arc, mais une fois n’est pas coutume, on va de nouveau remanier à mon avantage les habitudes installées depuis le début de cette critique.
On va faire un choix.
En effet, je ne vais ici m’intéresser qu’à une thématique importante de l’arc selon un axe d’analyse tout à fait arbitraire.
Je pense bon de le préciser car cet arc plus encore que les précédents développe toutes sortes de thématique d’une grande richesse dont l’interprétation peut changer en fonction du point de vue que l’on adopte. De plus nombre des thématiques les plus fascinantes ont trait à ce bon Yuji à qui j’ai décidé de dédier ma dernière partie, alors on va tâcher de faire les choses proprement et de ne pas se couper l’herbe sous le pied.
Ceci étant dit, j’ai choisi de donner voix au chapitre à nos monstruosités favorite en adoptant pour cette partie le point de vue des fléaux.
En parlant de fléaux je fais ici référence précisément à ceux ayant pris position pour leurs confrères en devenant pour ainsi dire les généraux de leur révolte mené à l’encontre des exorcistes à savoir : Jogo, Hanami, Dagon et Mahito.
Et quel meilleur moment pour s’intéresser à eux que l’arc du drame de Shibuya, arc au cours duquel leur développement arrivera à son terme en même temps que leur vie.
Mais avant ça revenons un poil en arrière si vous le voulez bien.
Dès leur première apparition au côté de Kenjaku dans le chapitre 10 j’ai tout de suite été interpellé par leur apparence et bien vite après par leur comportement. Un étrange poulpe muet en lévitation qui souffre du soleil de midi et s’en protège à l’aide d’un drap, un être vaguement humanoïde de grande taille et au langage incompréhensible qui a troqué ses yeux pour des branches et dont la peau d’écorce est partiellement recouverte de tatouage quand elle n’est pas cachée par un intrigant sac de toile, et enfin un gnome cyclope aux airs de chaman qui a pour crâne un volcan au moins aussi explosif que son caractère.
Il ne ressemblait à aucun des ennemis que j’avais pu croiser au cours de mon parcours de lecteur de manga.
Pourtant, les antagonistes mémorables ne manquent pas dans le Shonen Jump mais j’ai très vite su que ceux-là, à leur façon, avaient ce petit truc en plus qui allait capter mon attention pour longtemps.
On ressent instinctivement que ces créatures ne viennent pas seulement d’un autre monde mais quelles sont une singularité au sein de leur propre monde. Ils ne sont pas seulement inquiétants, ils sont… Bizarre. D’une bizarrerie que notre cerveau, par manque de connaissances, ne semblent pas être immédiatement à même d’appréhender. « Que sont ces choses ? », voilà la pensée qui se fait jour naturellement dans notre esprit lorsqu’on les voit se déplacer parmi les humains aveugle à leur existence baroque.
Un peu plus tard l’on rencontre Mahito, notre rapiécé préféré, qui nous accueille de son sourire malicieux, un livre à la main étendue sur son transat. Si le chara-design de Mahito est lui aussi vraiment excellent c’est aussi et surtout pour son comportement que le fléau va marquer les esprits. Incarnation des sentiments négatifs que les humains nourrissent à l’égard de leur semblable son existence même est lourde d’implication et ses interactions hautement signifiantes. Intellectuel obsédé par sa propre évolution il est fasciné par la métamorphose des choses et des êtres qu’il perçoit, du fait de son talent unique, comme une déformation de leur propre âme. Mahito des quatre fléaux présenté jusqu’alors est sans aucun doute celui dont les thèmes sont les plus approfondies et connexe et il ne serait pas trop d’une partie entière pour commencer de rendre hommage à ce cher rapiécé. Peut-être un jour ? Qui sait ?
Quoi qu’il en soit notre équipe est maintenant au complet.
Revenons-en à présent aux événements du drame de Shibuya qui vont précipiter leur fin.
J’ai déjà analysé en quoi la stratégie mise en place à Shibuya participe à développer les thématiques rattachées à leur objectif final à savoir celui de remplacer les humains dans leur propre monde.
Ainsi, pour éviter de me répéter, je vais davantage me concentrer sur les actes signifiant des fléaux en chef à Shibuya et en quoi ceux-là font écho au thème qu’ils ont en commun.
Commençons par Hanami.
Bien que celui-ci soit le premier à être éliminé, d’une façon particulièrement prégnante qui plus est, sa présence à Shibuya et son opposition au meilleur exorciste au monde en dit déjà long sur sa détermination à voir aboutir le plan de ses confrères.
Dans la droite lignée de ce que clamait Hanami lors de l’arc du tournoi inter-lycées il est logique de penser que celui-ci est là pour se battre dans le but que la garde de la nature, au même titre que le reste du monde, soit rendu aux fléaux.
À en croire ces précédents discours la perception d’Hanami de cette nature semble se rapprocher de pensée telle que l’écosophie. Une approche philosophique qui tend à rappeler que l’homme n’est qu’une part de l’écosystème naturelle terrestre ni plus essentielle, ni plus méritante que les autres et n’a aucun droit de se penser au sommet de la hiérarchie du vivant pas plus qu’il n’a le droit d’amasser sans partage les richesses de la nature. Aux yeux d’Hanami, les humains sont d’irrécupérables profiteurs qui ne connaîtront la sagesse que via la mort qu’il leur promet. Une sagesse qu’Hanami à lui-même acquis en se sachant part d’un grand tout. Un savoir quelque peu ésotérique que l’on comprend plus facilement accessible aux fléaux intelligents qui sont nés d’un espace éthéré et de ce fait autrement plus spirituel.
Pour mieux comprendre la perception d’Hanami l’on peut aussi convoquer l’hypothèse Gaia. Une théorie du climatologue James Lovelock qui présente la terre comme un super-organisme autorégulateur dont tous les éléments seraient interconnectés. Une vision qui aux yeux de certains adeptes de cette hypothèse à tôt fait de présenter la terre elle-même comme une entité consciente à part entière.
En ce sens, Hanami, autant que Dagon et Jogo pourraient être considérés comme la manifestation maligne de cette planète pensante. Des esprits animistes à l’origine bon mais pervertis par les sentiments humains négatifs relatifs à la nature et au caractère sacré qu’on peut lui attribuer.
Passons maintenant à Dagon, mon poulpe préféré.
J’aime beaucoup Dagon, et pourtant il est sans aucun doute le plus discret des 5 fléaux en chef. Très attaché à Hanami sans doute du fait de son caractère calme et de la proximité de leur affinité élémentaire respective (Mer et Forêt), Dagon est durant la majeur partie de l’histoire sous forme de fétus et n’atteindra sa forme adulte qu’après que sa colère n’est atteinte son paroxysme en faisant face à ceux qui ont tués Hanami. Il revêtira alors une apparence digne du monstre des mers lovecraftien qui a inspiré son nom : Dagon. À moins que cette appellation ne soit inspirée de la déité mésopotamienne du même nom, une des plus anciennes créatures mythiques malfaisante du folklore humain à posséder un corps de poisson. Dans les deux cas son affiliation avec l’océan est on ne peut plus claire. Il est intéressant de noter qu’à la différence d’Hanami dont le nom est des plus innocents du fait de sa connotation florale (Hanami = cerisier en fleur ou Belle fleur花御 ) le nom de Dagon suggère d’entrée de jeu une nature bien plus destructrice et horrifique qu’il ne tardera pas à révéler une fois placé dos au mur.
À l’instar de son protecteur Hanami, Dagon parle peu, mais à la suite de sa transformation les quelques mots qu’il prononcera s’avéreront particulièrement signifiant :
« Ne me traite pas de fléaux… Je m’appelle Dagon ! Je suis comme Hanami, Jogo et Mahito… Chacun d’entre nous a un nom qui lui est propre ! »
On retrouve ici cette idée de remplacer l’humanité.
Cette idée partagée par Jogo, Hanami et Dagon que les fléaux sont les vrais humains et qu’il mérite d’avoir au minimum accès au même droit. Ici, Dagon affirme son droit de posséder un nom. Les sociologues le savent (et les fans du petit prince de Saint-Exupéry aussi) l’acte de nommer quelqu’un ou quelque chose est hautement symbolique. Le nom est créateur, mais aussi possesseur. Le terme englobant de fléau a ainsi été choisi par les exorcistes pour désigner leur ennemi et en ce sens il ne s’agit que d’une méthode parmi d’autres pour déterminer à leur place la valeur de ces créatures.
Le terme de fléaux confine ceux qui le porte à l’image d’esprit nuisible, et leur refuse à priori toute forme d’intelligence et de philosophie. En dictant les termes du débat les exorcistes choisissent le statut en ce monde des fléaux sans bien sûr leur demander leur avis. Ce faisant une part non-négligeable de leur existence même est possédé par les exorcistes, leur identité ne leur appartient pas. Une chose plutôt logique me dirait-vous lorsque l’on sait que les fléaux sont pour la plupart l’incarnation d’un amas de sentiment négatif sans grande conscience de soi. Seulement ce n’est pas le cas de Dagon et ses camarades dont l’intelligence n’a rien a envié au plus brillant des humains. Ainsi en rejetant le qualificatif de fléaux et en revendiquant haut et fort son nom ainsi que ceux que ses camarades se sont choisis Dagon affirme son individualisme et sa place dans un monde qui nie son existence. Dagon existe, Mahito existe, Hanami existe, Jogo existe, ils ont vécu, ils ont pensé, ils ont rêvé, dans ce monde où ils ne possèdent rien on ne pourra pas les déposséder d’eux-mêmes, ils ont chacun un nom propre, ils sont qui ils ont choisi d’être, et mourront en étant eux-mêmes en déplaise au monde des humains qui leur a pourtant donner vie.
Peut-être est-ce juste mon attrait naturel pour les créatures singulières mais je trouve une fois de plus, en rétrospective, que cette bravade signifiante de Dagon a quelque chose de particulièrement triste surtout lorsque l’on sait qu’à la suite de sa mort prochaine il y a de bonnes chances pour que plus personne ne mentionne jamais son nom, comme celui de ses compères d’ailleurs. Ils seront bel et bien effacés de ce monde par la force.
Parmi ses compères, il y en a cependant un qui devrait rester encore longtemps dans l’esprit des exorcistes qui ont eu affaire à lui, je veux bien sûr parler de Mahito.
Mahito est des 5 fléaux en chef sans aucun doute celui qui fera le plus parler de lui au cours de l’arc du drame de Shibuya et pour cause, c’est à lui que l’on doit nombres des drames qui donnent son nom à l’arc en question.
Mahito est née des sentiments mauvais que les humains portent à l’égard de leurs semblables il est donc logique que son rapport auxdits humains soit légèrement différent de celui de ses confrères.
En effet, si celui-ci est tout aussi confortable qu’eux avec l’idée de les remplacer, il a pour les humains une certaine curiosité qui l’a amené à affiner sa différenciation avec ces derniers. À l’instar de Jogo, Mahito voit les humains comme des créatures inférieures notamment de par leur manque d’authenticité qui amène ces derniers à se chercher sans cesse des justifications dans le but d’éviter de faire face à leurs désirs profonds qui n’ont souvent rien de bien reluisant. À contrario les fléaux intelligent née de sentiment négatif pur se présenterait comme des formes de vie bien plus entière qui ne saurait se mentir sur leur propre philosophie ou motivation. C’est pourquoi Mahito décrit dans le chapitre 93 le propre du fléau comme étant d’agir selon ses envies, sans se voiler la face. Pour Mahito les humains seraient dans un évitement perpétuel des véritables causes de leurs actes c’est d’ailleurs ce qu’il reprochera à Yuji dans le chapitre 126 lorsqu’il moque son « semblant de dignité apporté par la raison humaine » qui selon Mahito n’a pas sa place sur un champ de bataille, le lieu par excellence qui devrait exacerber certaines des envies les plus primales de l’homme. L’envie de voler, l’envie de tuer, l’envie de détruire voilà quelques-unes des envies auquel Mahito s’abandonne lors de l’arc du drame de Shibuya.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si sa véritable forme, qu’il acquiert dans le chapitre 130, porte le nom d’« Entité Annihilatrice », le message est on ne peut plus clair, au bout des sentiments les plus pervers de l’être humain il n’y a que l’annihilation, l’anéantissement de toute chose : les sentiments négatifs que peut ressentir l’être humain sont nombreux et multiforme, mais le désirs de destruction les gouverne tous, une fois poussé à l’extrême, il s’agit de leur seule et unique finalité. Et lorsqu’il adopte sa forme finale Mahito renaît sous les traits de cet apôtre de la destruction libre de toute conscience morale qui n’existe que pour éliminer selon son bon plaisir. Il est devenu le reflet de ce que le pire de l’être humain peut produire s’il se laisse consumé par ce que son âme abrite de plus vil.
Si laisser libre cours à ses envies et selon Mahito le propre des fléaux aller droit au but est d’après Jogo l’essence même de ces derniers. Ne trouvant rien à redire à la philosophie de Mahito, Jogo met néanmoins moins en exergue les désirs individuels comme expression de la nature profonde des fléaux et préfère faire valoir leur droit partagé de prendre la place des humains dans leur monde. De ce fait, Jogo est sans aucun doute le plus emblématique représentant de la cause des fléaux, son sens du sacrifice pour ses semblables n’est plus à prouver et c’est de sa bouche que l’on entendra pour la première fois que les fléaux sont « les vrais humains ».
Comme dit plus haut Jogo de par leur caractère souvent ambigu et superficiel voit les humains comme étant plein de fausseté et se bat pour que les fléaux, des formes de vie qu’il juge plus authentique et complète, prennent le pouvoir.
Si j’ai choisi de parler de Jogo en dernier, c’est parce que sa fin est, à mes yeux, la plus représentative de l’échec idéologique de la révolte des fléaux.
En effet, pour peu qu’on se penche sur la question l'on ne peut s'empêcher de noter au cœur de l’idéologie de Jogo un paradoxe particulièrement touchant par sa maladresse : Jogo, comme Dagon, comme Hanami se disent être les véritables humains alors que leur nature même leur empêche de comprendre les humains, leur interdit purement et simplement la sensibilité propre à l’humain. Les fléaux ne peuvent comprendre leurs souffrances, leurs joies, leurs peines et de ce fait sont par essence incapable d’en saisir la valeur. Ils se disent être la forme véritable d'être qu’ils ne connaissent au final que par le biais de leurs pires travers que les fléaux seraient bien incapables de mettre en perspective.
Cependant malgré la constante affirmation de sa supériorité sur le genre humain Jogo, dans ses derniers instants, manifestera un signe typiquement humain : il pleurera.
Qui sait ce que signifie véritablement ces larmes ? S’agit-il de larme de fierté, la fierté que sa force ait été reconnue par Sukuna, le plus puissant des fléaux ? Ou s’agit-il de larme de tristesse, la tristesse de ne reconnaître que dans ces derniers instants qu’il aurait aimé se comprendre davantage lui-même ? Ce qui reviendrait à admettre à demi-mot qu’il aurait pu souhaiter devenir l’un de ces humains qu’il déteste tant. En tout cas, le fait que Sukuna affirme à ce moment à Jogo qu’il ne connaît pas le sentiment qui envahit l’âme de ce dernier rapproche indubitablement Jogo du genre humain.
Si personne ne saurait sans doute donner un sens définitif à ses larmes une chose est certaine, elles ont bel et bien coulé sur les joues du fléau qu’est Jogo. Et à mon humble avis, cela n'est pas sans lien avec le fait que les fléaux sont nés des profondeurs de la psyché humaine. Psyché humaine dont le caractère mystérieux fait encore à ce jour sa richesse est que les fléaux moins encore que les humains sont à même d’appréhender totalement. Ainsi, l’on jurerait qu’aux portes de la mort Jogo, bien malgré lui, a saisi l’essence de l’espèce humaine, une révélation désarmante qu’il emportera avec lui dans l’autre monde, et ça, je trouve ça très beau.
Ce que l'on ne réalise pas forcément sur le moment, c'est que la mort du quatuor signe la défaite idéologique des fléaux mais met aussi un point final aux ambitions des fléaux. Avec leur mort, une chaise est retirée, potentiellement pour toujours, de la table des négociations. Parmi toute les créatures fantastiques et entités surhumaines qui peuplent l'univers de Jujutsu Kaisen les fléaux sont de celles qui n'auront plus voix au chapitre, leur parole ne nous sera plus rapportée, leurs idéaux plus intellectualisé, leurs ambassadeurs ont été exécuté et à compter de cet instant il y a de larges chances pour qu’ils soient avant tout passager d'une histoire écrite par les humains. Leur défaite est d'une ampleur capitale pour les membres de leur espèce.
Alors certes Mahito, Gojo, Dagon et Hanami sont aux yeux de beaucoup des ordures de la pire espèce, mais à présent qu’ils sont morts et que le danger qu’ils représentaient est écarté, je pense qu’ils nous seraient tout de même reconnaissant que l’on garde à l’esprit leurs noms encore un peu de temps.
Conclusion : Arc du drame de Shibuya :
Aaah l’arc du drame de Shibuya il y aurait encore tant à dire à son sujet. Je suppose que c’est la marque des grands arcs de donner l’impression de ne jamais avoir fini d’en parler. À la lecture on trouve toujours de nouvelles choses à dire, de nouveaux sujets à propos desquels être élogieux.
L’arc du drame de Shibuya est un condensé harmonieux d’élément sensationnel.
La variété de situation fuse, les visuels iconiques sont nombreux, la qualité des affrontements oscillent entre l’excellent et le légendaire et tout ça avec cet incroyable flow de combat qui nous fait glisser d’une situation à l’autre installant un rythme haletant qui nous absorbe et nous habite du début à la fin. En écrivant ces mots je réalise qu’il s’agissait sans nul doute d’un moment très spécial de mon parcours de passionné de manga et plus les jours passent plus je prends conscience d’à quel point je l’ai apprécié.
L’arc du drame de Shibuya est une hécatombe fascinante de laquelle on ne peut pas détourner le regard. Une hécatombe, certes, mais pas dénué d’élégance, une grande faucheuse dans sa robe de soie d’un noir profond qui apporte le drame aux âmes damnées impliquées dans cette guerre et qui pour cela s’est muni de ses plus fidèles serviteurs : peur, regret, amertume, tristesse et dévastation. Ceux qui passent dans son ombre s’en retrouvent éperdue, mais comme toutes les choses qui dépassent notre entendement cette rencontre vertigineuse nous délivre de son emprise avec la révélation que l’on vient de vivre quelque chose de surréel.
L’arc du drame de Shibuya est un arc souverain au sein de son médium et les échos et figures fantomatiques laissé dans le sillage de sa parade macabre se feront encore entendre, j’en suis sûr, longtemps après la fin de cette tragédie transformatrice.
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Partie 4 de la critique : https://www.senscritique.com/bd/la_passion_jujutsu_kaisen_tome_18/critique/305155370
V: Et là je lui ait dit : "Accroche toi au pinceau ! Je retire l'échelle !"
J : ...
V : Pas mal, hein ? Hein ?!
J : Je vais me foutre en l'air.
V : Hahaha
Partie 4 de la critique :
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