Donc avant tout : ce livre n'a aucun lien avec des questions d'immigration. Il parle plutôt du droit que se donne l'Homme d'intervenir sur la Terre. Comme le dit le synopsis, il raconte les 800 kms que fait à pied Davodeau entre la grotte de Pech-Merle, où apparaissent de très vieux dessins faits par l'Homme, et le site d'enfouissement des déchets de Bure. La démarche est claire : comparer le rapport à la nature des sociétés de Cro-Magnon et de notre civilisation technoscientifique.
Ce livre était taillé pour un écolo-bobo humaniste comme moi, mais il y a tout un pan du livre qui ne m'a pas convaincu. Davodeau reprend clairement un style graphique à la Taniguchi, et se met en scène en train de marcher. Alors d'abord, contrairement à beaucoup, j'adore marcher mais j'ai du mal avec les gens qui transposent cela dans l'art. Car marcher est une activité profondément égoïste, d'individus qui cherchent l'introspection. Et Davodeau le dit, mais il ne cherche pas à s'en détacher. Je trouve cela facile. Il reproduit tout un ensemble de micro-incidents, de choses vues qui lui arrivent le long de sa marche, mais cela n'a rien d'exceptionnel. Si j'ai besoin de petits moments croqués (et je n'en ai pas besoin), j'ai les Petits riens de Trondheim, merci bien.
L'autre partie, plus théorique, du livre, est au fonds un peu en retrait. Davodeau a rencontré plusieurs scientifiques ou activistes et se met en scène en train de discuter avec eux en marchant. Il y a Bertrand defois, paléontologue, Marc Dufumier, agronome et disciple de René Dumont, Bernard Laponche, ancien ingénieur du plan Messmer devenu activiste anti-nucléaire, Michel Labat, habitant de Bure opposé au projet, Valérie Brunetière, sémiologue ayant travaillé pour l'entreprise Cigeo, Ariane de la Chapelle, chargée de collections au Louvre et spécialiste du papier, et enfin le plus intéressant, Joël Domenjoud, activiste opposé au projet et victime de persécution policière et judiciaire.
Mais ces entretiens, pas illustrés et passant uniquement par de vastes cases dignes de Blake et Mortimer (je n'entends pas forcément cela comme une critique, mais là oui), ne vont pas si en profondeur, et parfois on se demande même leur lien avec le livre (concernant le papier). Davodeau ne cherche pas à donner à son livre une cohérence absolue pour favoriser l'écoute, mais cela donne à l'ensemble un côté un peu mou et flottant. Le narrateur, qui se met lui-même en scène, a l'air d'un quinqua un peu indifférent à tout et un peu sentimental.
Bref, je n'ai pas apprécié tant que cela ce livre. Il y a plus percutant et mieux à faire sur ces sujets qu'un trip rando mis en cases qui se permet de nombreuses sorties de pistes. Mais tant mieux pour ceux à qui cela plaît.