Parmi les exemples de changements de directions dans la carrière d’un auteur, celui de Didier Tronchet est plutôt frappant. D’humoriste dingue et sans complexe avec « Jean-Claude Tergal », il s’est métamorphosé depuis quelques temps en auteur plus intimiste sans perdre son sens de l’humour. Il l’a montré plus que jamais en mars 2014 à la publication du one-shot aux tendances autobiographiques : « Le Fils du Yéti ». Un puzzle familial riche en trouvailles qui sait manipuler le drame avec dérision…
Scénario : Sorte de looser magnifique qui ressemble à s’y méprendre au Jean-Claude Tergal cité plus haut, Tronchet se représente sans pudeur, si ce n’est celle de l’autodérision. Le récit n’a beau se développer que sur une semaine, il n’est pas avare en rebondissements et autres surprises inattendues et plaisantes. Mais surtout, il montre avec un subtil registre doux-amer les souvenirs d’enfance de Tronchet, qui deviennent intrigants et souvent percutants pour le lecteur. L’auteur a le don d’ajouter moult détails à son histoire, comme l’anecdote de la mort de Paul McCartney, pour la rendre terriblement attachante. Son existence pourtant très ordinaire prend alors un sens plus profond qui amène à une réflexion : jusqu’à quel point nos souvenirs influencent-ils notre vie ?
Dessin : Un trait au pinceau simple, efficace et expressif. Les partis-pris graphiques de Tronchet n’ont rien d’irréfléchis et de simpliste, ils savent mettre l’émotion en image avec une grande justesse. Et les planches ont beau être en noir et blanc, elles n’en sont pas moins vivantes peuvent aussi bien faire passer l’humour macabre et grinçant de l’auteur.
Pour : La voix de l’auteur ponctue inlassablement le récit par des récitatifs. Si je suis le premier à trouver cette démarche peu créative en bande dessinée, elle est ici pourvue d’un charme indéniable. Loin d’être bêtement explicatives, les paroles de Tronchet font tout le sel de l’album : elles lui apportent un ton décalé qui rend le drame plus léger, et investissent le lecteur dans l’histoire avec une pertinence rare.
Contre : Dans quelle mesure les événements relatés se sont-ils réellement passés ? L’auteur ne tranche jamais, pas même dans une préface. On peut néanmoins deviner que le récit est un amoncellement de souvenirs et détails véritables, transposés dans un contexte plus fictionnel…
Pour conclure : Drôle et touchant, « Le Fils du Yéti » apporte une fraîcheur inattendue pour une histoire familiale aussi dramatique et lourde de sens. On y ressent une mélancolie loin d’être désagréable, renforcée par une note d’espoir finale des plus réjouissante.