Taniguchi a une fâcheuse tendance à construire des personnages principaux détestables. Après le protagoniste de "Quartier Lointain", un adulte dépourvu de la moindre poésie qui ne retrouvait une certaine grâce qu'en retrouvant son adolescence, on a désormais le droit à un glouton.
Le titre de "Gourmet Solitaire" est trompeur : plus qu'à un amateur de bonne chère, c'est à un gourmand que nous avons affaire. Pas un gourmet, mais un homme qui bâfre dont les motivations et les réflexions ne vont guère plus loin que "j'ai la dalle" et "putain c'est bon". "Le gourmet solitaire" est sans nul doute une ode à la variété et la richesse de la cuisine japonaise, mais il est dommage que le personnage au travers des papilles duquel nous découvrons les sushis, nouilles et autres brochettes soit si dépourvu d'envergure.
Voilà qui est fait pour le côté critique. Mais, en bon lecteur désormais repu, n'ai-je pas le droit, moi aussi, de laisser libre cours à mes réflexions ?
Voyons... sans doute, présenter un amateur éclairé aurait permis une plongée plus riche et profonde encore dans un monde de saveurs exotiques, mais peut-être, dans le fond, n'est-ce pas là le propos du manga...
Pour ma part, voir un homme seul manger seul m'a toujours laissé un peu triste et songeur. J'ai toujours cru et je crois encore qu'on ne peut apprécier la cuisine dans son essence la plus profonde que si elle est partagée. Les mangeurs solitaires comme celui-ci doivent avoir une mélancolie bien difficile à combler pour être encore et encore aux comptoirs des restos. Et puis, est-ce que cet homme qui mange seul n'est pas une métaphore pour nous, pauvres goinfres nous sustentant tristement à la table de la vie ? Je ne sais pas.
Ce qui est problématique, c'est que visiblement, Taniguchi non plus.