Un Taniguchi Jirô phare de la bande dessinée...
« Les japonais aiment beaucoup les étrangers, et on vit très bien comme travailleur émigré au Japon... Surtout si on n'est pas noir, pas chinois, pas coréen, pas une femme, pas homosexuel, pas asiatique, pas musulman et pas américain. »
Phrase amusante du traducteur français, qui pourtant me donne l'impression de ne pas tout à fait retranscrire la saveur des propos de Taniguchi et Kusumi dans son travail. Mais ce n'est qu'une intuition personnelle et, à moins d'apprendre à lire le japonais, je n'en aurai jamais la certitude.
Le titre me parlant beaucoup, mon erreur fut peut-être de m'attendre à me reconnaître dans le personnage. Contrairement à ce que pourrait laisser penser l'emploi du monologue intérieur et du focus sur une seule personne, la démarche n'est pas du tout identificatrice, mais contemplative. Immersive peut-être, selon le lecteur.
En lisant le premier chapitre, j'étais moyennement convaincu : un type qui a faim et qui mange. Pas des plus passionnant. Et ça ne l'aurait pas été, traité autrement.
Seulement, cette œuvre est empreinte d'une grande poésie, si subtile et atypique qu'elle restera hermétique à un large public. Une poésie typiquement japonaise, d'ailleurs : celle qui sublime le plus banal de l'existence, en relevant l'effervescence qui s'y cache.
En effet, à travers les différents endroits où il mange, l'homme regarde les gens, les différentes attitudes, les lieux reflétant toujours ceux qui les fréquentent. L'étrangeté de la vie, sa beauté, son amertume.
C'est également le plaisir de la bonne nourriture simple que l'on trouve dans ces pages, l'art de bien manger, chose de peu d'importance pour certains, primordiale pour d'autres.
Gourmet, l'est il vraiment ? Je serais curieux de saisir le sens du titre original en japonais, tant ce mot me semble ici galvaudé ; gourmand ne serait pas juste non plus, il s'agit à mon sens d'un gastronome. Bon, j'avoue que « Le Gastronome Solitaire », c'est beaucoup moins classe. Mais c'est ce qu'est notre homme.
Homme dont, au final, on ne saura presque rien, et dont on comprendra pourtant l'essentiel.
Mais l’œuvre évoque aussi la liberté, comme le suggère Masayuki Kusumi dans son histoire faisant office de postface. La liberté que le personnage trouve dans la dégustation d'un plat, moment crucial de sa journée, durant lequel il s'évade de la dure réalité de sa vie, de ses échecs amoureux, humains, et du manque de naturel de la société dont il est pourtant le produit.
Certes, amoureux de la nourriture et de la culture nippone, je ne pouvais qu'aimer l'ouvrage, d'autant plus qu'il immerge réellement dans le cœur du Japon, dévoilant ses uses et coutumes les plus étonnantes, bien plus complexes -me semble-t-il- que nos conventions sociales en France des plus libérales, et ses plats terriblement appétissants.
J'imagine que si c'était français, et qu'on y verrait un type s'extasier sur un cassoulet, ça m'aurait moins emballé.
Et justement, paradoxalement, je ne suis pas sûr qu'un japonais l'apprécie autant que nous, ou du moins qu'il l'approche d'un autre point de vue, plus dans la nostalgie reliée à ses repères que dans le dépaysement que nous y trouverons en tant qu'européens.
Si comme moi manger vous délecte et vous transporte ailleurs, que le Japon vous fascine et que vous aimez le graphisme ultra-réaliste de l'auteur qu'on ne présente plus, Le Gourmet Solitaire est fait pour vous.
Les autres ? Vous pouvez toujours tenter l'expérience de cette tranche de vie semi-mélancolique, qui ne raconte pas d'histoire sinon celle (peut-être la plus intéressante) de la vie.
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