Pendant quelques chapitres, j'ai trouvé l'album assez répétitif. Je n'ai jamais séjourné au Japon, et je pense que je suis passée, comme certainement une grande majorité des lecteurs occidentaux, à côté de certaines subtilités, sociétales autant que gastronomiques, qui ont contribué à mon désappointement. Difficile parfois pour moi de comprendre pourquoi certains plats ne se mangent pas avec d'autres, par exemple, et pourquoi on ne va pas dans tel type de restaurant à telle heure la journée.
En revanche, petit à petit, devant la diversité des lieux de restauration et de la nourriture consommée par le personnage, homme d'affaires typiquement japonais, j'ai cru comprendre que le sujet était prétexte à observer la société japonaise, et, même, à la critiquer - on notera que l'album date d'environ vingt ans et que celle-ci a depuis évolué. Et donc, cet homme non seulement met en valeur les traditions, les changements, voire les contradictions du Japon, mais aussi les met parfois aussi un peu à mal. D'où quelques chapitres aux situations un peu outrées, où il casse par exemple la figure à un restaurateur, ou celle où il transpire abondamment et enlève chemise et maillot en public. Il se laisse aller, va à l'encontre de ce qu'on attend de lui. Ce n'est sans doute pas par hasard si, à chaque chapitre, il commande et mange trop, bref, se goinfre à chaque fois. C'est la manière que Taniguchi choisit pour donner dans le politiquement incorrect, tout en restant dans les limites de la forme très lisse qu'il arbore dans son dessin et dans sa mise en page. Ça n'est finalement pas inintéressant de voir ça sous sa plume.
Cela dit, l'aspect contemplatif et voulu de l'album me touche peu, comme souvent chez cet auteur. Je ne sais pas, je crois que je le trouve trop occidental, et que je ne retrouve justement pas ce qui fait la spécificité d'une bonne partie de la littérature japonaise, mais aussi de la culture japonaise, et qui est si bien rendu par Tanizaki. Pourtant, ce sont tout de même deux scènes empreintes de nostalgie, mais d'une nostalgie amusée, qui ont le plus retenu mon attention : celle du jus de melon au goût affreusement chimique mais qui rappelle si bien l'enfance ; j'ai alors immédiatement pensé avec envie aux bouteilles de soda jaune ou orange vif que j’achetais avec ma cousine dans l'épicerie du village de ma grand-mère. Et celle où le personnage mange avec un repas bio, auquel il trouve un goût délicieux : le goût des légumes détestés de son enfance. Il m'a semblé alors y retrouver un petit quelque chose qui parle à chacun d’entre nous, un petit quelque chose de légèrement proustien.