Le tome #14, m’avait laissé un goût étrange. Je n’arrivais pas à me dire s’il était décevant ou génial. La faute sans doute à des personnages qui donnaient l’impression de tous prendre des chemins différents, tous agir comme bon leur semblait au final. Et surtout la faute aux intentions toujours incomprises et inconnues de l’agent Graves.
Et cet ultime tome nous apporte des réponses, bancales et bizarres certes, mais des réponses quand même, mais nous laisse le même goût qu’à la fin du tome #14. En effet, si Azzarello excelle toujours autant dans sa façon de nous dépeindre la course au pouvoir, la course à la réussite, s’il réussit à nous montrer une Amérique forte et violente, merveilleusement retranscrite par les traits parfaitement adaptés d’Eduardo Risso, il échoue néanmoins, selon moi, à nous offrir un final pleinement réussit.

Alors que l’Agent Graves dévoile peu à peu les détails de sa ténébreuse histoire au service du Trust, ainsi que les raisons de cette haine envers ses anciens maîtres, les corps tombent à un rythme effréné, dans un camp comme dans l’autre. Dizzy, Lono, Benito Medici, Cole Burns… Rares seront les acteurs encore debout au terme de cette danse macabre (contient les épisodes #95 à 100).

Commençons d’emblée avec les morts, avec la multitude de cadavres qu’Azzarello laisse trainer tout au long des cent soixante-huit pages de ce dernier tome. Et soyons clair, sur les trente-quatre personnages qui nous sont présentés au début de chaque volume de la série, seuls cinq en réchapperont et seulement trois sur les personnages principaux. Oui ! C’est très mince, et c’est vous dire la boucherie que l’on vit à travers ces six derniers chapitres. Ils étaient dix-sept encore en vie au début…

Et cette débauche de violence et de meurtres, si elle est parfaitement instaurée, installée, présentée, suggérée par Azzarello, c’est à Eduardo Risso que l’on en doit la merveilleuse interprétation. La folie, la rage, l’envie de meurtre se dégagent de ses personnages dans ces dernières pages. Il imprime un rythme endiablé à ces derniers chapitres, nous montrant, nous permettant d’admirer les derniers instants de bons nombres de personnages, réussissant la prouesse de rendre juste la vision de détresse qu’Azzarello essaie de faire transparaître. Oui ces personnages sont de vrais durs, de vrais tordus, ils ne ressemblent à personne, oui ils se nourrissent de violence, s’abreuvent de sang, mais il se dégage quelque chose de triste de tous ces personnages. Ils ne sont que des pantins, des marionnettes aux mains des puissants.

C’est le grand sujet d’Azzarello dans les cent chapitres de 100 Bullets, la quête du pouvoir, l’influence des puissants, les barrières qui s’abaissent face à l’argent, les yeux qui se ferment devant la puissance de certains hommes. Et Azzarello s’est amusé à nous montrer cette Amérique gangrenée par la quête de pouvoir aussi bien dans les hautes sphères avec les riches et les intouchables, qu’au niveau du caniveau avec les petits dealers, les gens quelconques et sans histoire, s’amusant même parfois de la misérabilité de ces vies de monsieur et madame Toutlemonde. Même si par moment il n’hésite pas à nous exploser les choses les plus malsaines à la tronche, surtout quand cela touche les enfants. Il n’hésite pas avec son complice Risso à nous montrer le côté sexuel et dépravé de nombreux personnages. La palme allant sans doute dans ce tome avec la mort d’Echo par Cole alors qu’elle était en pleine action avec Jack.

Et même si l’on comprend vite que tout n’est qu’une question de pouvoir, d’ambition, d’égo, d’envie personnelle, mais on avait envie de croire que la quête de Graves était tout autre, qu’elle était plus recherchée, plus subtile, passez moi l’expression mais qu’elle était plus excitante. Et au final, alors que l’intensité dramatique ne fait que d’atteindre des sommets toujours plus hauts, le tout retombe presque à plat en découvrant les ambitions de Graves. Ce personnage tellement charismatique et énigmatique, avec ses fameuses mallettes nous poussant à nous interroger sur nos choix moraux ou immoraux les plus inavouables. Ce personnage manipulant à sa guise toute cette armée de tueur. Ce personnage se moquant des hommes et femmes les plus puissants du monde, s’avère agir avec des intentions tellement… humaines… simples, qu’on ne peut qu’être déçu.

De plus, les deux derniers chapitres nous donnent l’impression qu’Azzarello s’emmêle les pinceaux, comme avec le final avec Dizzy, Megan et Cole, où tout cela fait un peu brouillon. Certaines morts sont faciles, ridicules, certaines fuites sortent un peu comme un lapin du chapeau. Quelle déception que ce bain de sang final. Et que dire de Graves qui se fait prendre à son propre jeu comme un gosse, comme s’il n’était personne, si ce n’est le crétin du village, affligeant. Mais en même temps, pouvait-il en être autrement ?
Le final n’en reste pas moins jouissif, notamment grâce aux coups de crayons de Risso, qui ne s’interdis toujours rien sur la représentation de la violence et des meurtres. Jouant toujours à merveille sur le côté sadique de certains, le mystère qu’incarne d’autres, sur la violence que dégagent certains ou l’aspect sexuel d’autres.

Bref, très concrètement, ce grand final de 100 Bullets, bien que terriblement jouissif sur le côté violence et intensité, n’en reste pas moins une véritable petite déception au vue de l’œuvre 100 Bullets dans son ensemble. Brian Azzarello a passé cent épisodes à nous dépeindre une Amérique absolument peu reluisante, sans espoir, sans couleur si ce n’est le rouge du sang. Une Amérique où la violence, la mort et la loi talion est une règle de vie et où la mal ne se soucie ni de sexe ni de l’âge. On attendait plus. J’attendais plus ! Graves ne devait pas agir dans un intérêt personnel, et d’ailleurs tous ces personnages ne devaient pas agir par individualisme, bien que compréhensible, au dépend de la trame générale. Ils nous laissent sur notre fin, et c’est avec une profonde déception que j’en termine avec Dizzy et Graves en me disant tout ça pour ça ?
100 Bullets n’en reste pas moins une œuvre culte de l’univers des comics. Si il est un peu difficile de rentrer dans l’histoire de Brian Azzarello, et qu’il est un peu déroutant de s’adapter au dessin d’Eduardo Risso, il devient très vite difficile de s’arrêter de lire les aventures de Graves et de ses Minutemen, d’Augustus Medici et de son Trust, de ses misérables qui se débattent dans la merde pour avoir un semblant de vie. Azzarello nous offre un travail impressionnant sur ses personnages, sur leur psyché, sur les liens qui les unit. Il tisse une toile où tous sont prisonniers, où tous se battent pour vivre, voir simplement survivre. C’est une véritable réussite de nous offrir une telle galerie de personnages, tous plus crédibles les uns que les autres, tous plus profonds les uns que les autres, avec tous leur look, leur physique propre et une véritable identité tellement raccord avec ce qu’ils représentent. Azzarello nous dépeint une Amérique qui fait froid dans le dos, qui paraît irréaliste et pourtant on ne s’avancera pas à dire que tout cela est impossible. Ca nous glace le sang et pourtant on aime ça !
Romain_Bouvet
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le 21 déc. 2013

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Romain Bouvet

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