Ca s'étire hélas
J'avais bien aimé les deux premiers et j'ai vu la sortie du tome 3 avec beaucoup d'enthousiasme. J'ai bien pris le temps de relir tome 1 et 2 afin d'avoir toute les généalogies en tête et j'étais...
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le 10 déc. 2018
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BD franco-belge de Bertrand Gatignol et Hubert Boulard (Hubert) (2018)
"Et ce fut le chaos. Les géants régnaient depuis si longtemps du haut du château sur la montagne que, même s’ils n’en descendaient plus depuis longtemps, leur existence dominait la vie de leurs sujets. Toute aspiration à la grandeur était limitée par leur présence invisible. Chaque humain se savait gibier potentiel sous leur domination. Leur brusque disparition frappa les hommes de stupeur. L’ordre qu’on pensa immuable s’écroula d’un bloc."
Pour ce troisième volume des Ogres-Dieux, Hubert et Gatignol se surpassent encore une fois et continuent à nous présenter cet univers incroyable sorti du Moyen-Age. L'histoire commence là où s'était terminé le premier tome dans le désordre et la confusion, le chaos et l'horreur. Il poursuit aussi le tome deux dans sa continuation, là où nous avions quitté Yori Draken, chambellan du Roi-Ogre.
Dans ce tome nous retrouvons Yori Draken, dont l'histoire est exposée dans le second tome de cette saga. Ce personnage parcourt l'histoire sans qu'on ne le voit. Il réside dans les esprits de chacun et est la cause de tous les tourments. Et nous retrouvons aussi, et surtout, Petit, dont l'histoire est racontée dans le premier tome.
Dans ce troisième volume nous trouvons également un nouveau personnage tout droit sorti de la forêt, Lours, comme ours oui. Un personnage essentiel à l'intrigue et qui vient aussi s'ajouter aux personnages principaux. C'est un pilier majeur de l'histoire. Tout au long de la BD on apprend à découvrir ce personnage d’une force mentale à toute épreuve.
Le lien relationnel entre certains personnages s'établit progressivement au fil du récit. On en découvre un peu plus sur quelques personnages secondaires. C’est le cas notamment de Sol, bras droit de Yori Draken, dont une petite partie de son enfance nous est raconté lors d’un récit.
Ce qui est remarquable est le fait que chaque personnage soit très bien construit. Ils ont tous une histoire qui leur est propre, ainsi qu’une psychologie qui les définit. Par ce fait, aucun personnage ne se ressemble et on aimerait pouvoir également tous les connaître.
Je me suis également rendu compte que tout tournait autour de la paternité mais surtout des liens père fils et aussi de la recherche d'acceptation des fils par leur père.
Les récits en proses présentent cette fois "Les dits de Lours". Tous ces récits viennent alimenter l'histoire et la rendent plus complète. Ici ce n'est plus l'histoire d'une généalogie comme c'est le cas dans le premier tome, ni l'histoire d'une profession comme on le voit dans le tome deux. C'est l'histoire d'un seul homme, nommé Lours. Ces dits racontent les rencontres des personnes les plus importantes dans la vie de ce personnage. Ils sont racontés de manière chronologique. Cela nous permet de voir l’évolution de Lours, et ses changements de vision du monde. On voit aussi dans ces récits une multitude d'événements malheureux que subit le personnage. Chaque dit à une fin tragique. On comprend alors d’où vient la force du personnage, qui a enduré tant de peine et d’injustice dans son existence, mais qui continue à garder ses nobles valeurs.
Les récits sont amenés dans l'histoire par le dialogue des personnages qui nous indiquent ainsi le commencement d'un nouveau dit. On peut donc aussi voir ces dits comme des flash-backs ou des souvenirs de Lours. Ils sont au nombre de six comme dans les deux premiers tomes de la saga. Nous retrouvons dans ces récits des rencontres importantes qu’a faites Lours, auxquels sont associés des événements marquants, basculant la trajectoire du personnage sur un autre chemin de vie. Les dits qui nous sont racontés sont les suivants : le Maître, le Général, le Niveleur, l'Élève, les Oloks, le Paria.
Nous finissons à la source de tous les tourments du personnage. C’est en terre maternelle que nous découvrons enfin les origines de Lours, en même temps que le personnage retrouve ses souvenirs qu’il avait enfouis dans sa mémoire.
La première page de chaque dit est présentée avec un graphique suggérant une esthétique celtique, ainsi que dans la typographie choisie, et rappel ainsi la nature sauvage de Lours et ses origines.
out ce qui lie ces personnages (Petit, Yori et Lours) entre eux est le changement. Chacun veut se débarrasser de l'oppression des dieux et voir le monde changer, le rendre moins moyenâgeux et plus juste, chacun à leur manière. On voit aussi cette question du changement chez le Haut Peuple.
Ce tome met également en question la légitimité de toute la haute hiérarchie, en commençant par les Ogres-Dieux puis les chambellans, les Nobles-nés et les corporations.
« Les géants ne sont pas différents par essence des simples humains, disaient-ils. Ils sont sans doute plus grands, mais en rien divins. Du fait de leur grande longévité, ils empêchent que rien ne change dans leur royaume et méprisent l'ingéniosité humaine. »
Cependant vouloir le changement n’est pas suffisant, il doit se faire progressivement pour ne pas faire basculer l'ordre fragile dans le chaos. Les seuls à s'y être essayé auparavant ont tous fini mal. La générosité et la bienveillance sont bannies des cœurs et des esprits.
La conséquence de la chute des Dieux nous donne des visons macabres. La disparition presque totale des Ogres-Dieux dans ce tome laisse alors place aux hommes, mais ce n'est pas pour autant que la liberté et la paix règnent, bien au contraire. De plus, même si elle n'est pas toujours montrée la violence et le chaos se voit dans les décors et les paysages dans lesquels évolue les personnages.
Une autre violence remarquable qui n'est pas montrée mais qui est souvent abordée est présente dans ce tome. Il s’agit de l'anthropophagie. Cela rappelle ce que la tante de Petit lui disait : "Tu ne dois pas manger les hommes. Même si nous sommes de la même espèce qu'eux. Les humains ne mangent pas leurs semblables. C'est ce qui les différencie des animaux. Es-tu un animal, Petit ?". Ce qui est ici plus choquant est le fait que ce ne sont pas les ogres qui mangent les hommes comme c'était le cas auparavant dans l'histoire (et qu'on peut voir aussi dans les contes pour enfant) mais ce sont les Hommes qui mangent les Hommes, leur propre espèce. On se rends alors compte que les Hommes continuent d'être mangé et que peu importe qui règne dans le château sur la montagne, rien ne change et la devise de la mère de Petit "Mange ou sois mangé" s'applique encore.
Nous quittons petit à petit la montagne et la vallée pour rejoindre la Forêt Profonde, dangereuse et hostile, superbement bien décrite dans l'un des récits en prose. Visuellement, elle se diffuse et prend tout l'espace des planches. Cette forêt oppressante envahie peu à peu les esprits jusqu’à la folie.
"La forêt paraissait sans limites. On pouvait en suivre le bord pendant des jours sans en voir la fin. Elle venait battre le flanc des montagnes comme une mer vert sombre, presque noire, drapée de lambeaux de brume, percée par endroits de rochers qui émergeaient des arbres comme des récifs. Nul ne pouvait se vanter de l’avoir traversée de part en part, en dehors de ses mystérieux habitants les Oloks, mais ceux-ci étaient presque aussi craints, presque aussi mythique que la forêt elle-même."
La fin est absolument époustouflante. Je fus complètement bouleversée en lisant les dernières pages de ce troisième tome. L’histoire dans laquelle nous sommes embarqués est très complète et propose des réflexions sur les questions du pouvoir, des croyances, et de la race. Nous évoluons dans cet univers en suivant des personnages aux psychologies impressionnantes.
Une dernière citation pour conclure, et qui révèle très bien la force du personnage de Lours :
"On est quoi ? Une poignée ! Et on se bat pour tout un pays. Parfois, j’ai l’impression que les gens s’en foutent. Ils restent là, l’œil vide, pendant qu’on les exhorte à résister, quand ils ne prennent pas leurs jambes à leur cou. Parfois, je me dis que ce pays est foutu, qu’il n’y a plus rien à sauver, et que notre lutte ne fait qu’empirer les choses. Et le lendemain, je me lève avec une nouvelle idée, un nouveau projet et l’envie d’en découvrir encore. Parce que ce n’est pas juste. Parce que sinon, autant nous résigner à devenir du bétail et tendre le cou vers la lame qui vient nous égorger."
Voici mes critiques précédentes sur les deux premiers tomes de cette saga.
Bertrand Gatignol et Hubert Boulard (Hubert), Petit - Les Ogres-Dieux, tome 1, 2014, https://www.senscritique.com/bd/petit_les_ogres_dieux_tome_1/critique/257834401
Bertrand Gatignol et Hubert Boulard (Hubert), Demi-Sang - Les Ogres-Dieux, tome 2, 2016, https://www.senscritique.com/bd/demi_sang_les_ogres_dieux_tome_2/critique/259383339
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.
Créée
le 20 mars 2022
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