Avez-vous déjà pris une claque ?
Attention, je ne parle pas de la coutumière petite tape dans le dos ou du futile outil punitif utilisé par les parents. Je parle d'une vraie mandale dans la gueule, violente, authentique, capable de vous défoncer la mâchoire et de vous faire tomber à la renverse de votre petit lit douillet.


C'est un peu la sensation que j'ai ressenti après avoir refermé ce sacré livre que représente Le Grand Pouvoir du Chninkel.
Concrètement, cela s'est traduit par une larme versée lors de la lecture de la dernière page, un regard vide fixant dangereusement ,pendant un quart d'heure, le mur d'en face, une étrange litanie composée de l'unique phrase : « Car ce monde est sans avenir » répétée inlassablement à tout bout de champ et deux nuits blanches passées à se remémorer les meilleurs planches de l’œuvre.


Dire que Le Grand Pouvoir du Chninkel m'a agréablement surpris est un euphémisme.
Il m'a tout simplement retourné, bouleversé et ébranlé émotionnellement au point de facilement pouvoir se hisser sur le podium de mon futur et très hypothétique Top 10 de la bande dessinée Franco-belge.


Mais ça parle de quoi ?
Le Grand Pouvoir du Chninkel raconte l'histoire de J'on, un petit Chninkel rescapé d'une sanglante bataille, choisi par Dieu pour mettre fin aux conflits destructeurs que se livrent depuis des temps immémoriaux, les 3 immortels qui dominent cette planète décadente.
Pour accomplir sa quête sans encombres, Dieu lui offre  "le Grand Pouvoir" mais lui ordonne en retour d'apporter une ère de paix dans les 5 prochaines croisées de Soleils sinon, ce monde sera entièrement détruit.
J'on fini ,malgré lui, par partir faire le tour de ce monde décrépit pour tenter de le sauver de sa destruction finale.


Avec la subtilité d'un hippopotame batifolant avec joie dans une baignoire pour enfant, Van Hamme se réapproprie les codes de l'héroic-fantasy de Tolkien pour dresser une critique caustique et virulente de la religion ainsi que du rôle de Dieu et de Sa création.
Le manque de subtilité n'est pas pour me déplaire : sa critique est frontale et ne lésine par sur les dialogues coup-de-poing.


Le Grand Pouvoir du Chninkel est surtout une relecture inventive du Nouveau Testament, et à ce titre, il ne peut s’empêcher d'en récupérer l’essence "fondatrice" avec son lot essentiel de forces du mal, de gentils, de traîtres, de prophéties et d'élus.
Le tout est correctement employé et détourné pour nous offrir quelque chose de grandiose, de bouleversant pour finir sur une apothéose incroyable qui percute de plein fouet l'esprit du lecteur réceptif.


Mais en plus d'avoir crée un univers fantastique et un thème central intelligent, Van Hamme emploie tout son talent de conteur pour nous proposer une histoire de qualité au rythme fabuleusement fluide.
La narration est diablement accrocheuse, c'est indéniable.
Pour ma part, il m'a été impossible de décrocher mon esprit de cette foutue bd avant sa conclusion et lorsque quelqu'un désirait me parler, je me montrais complètement hermétique à toute forme de discussion.
Avec sa prose soignée, ses dialogues percutants et son sens de la narration, Van Hamme prouve, une fois de plus, que son talent de scénariste n'est plus à démontrer (oui même en 1988).


Mais la force du livre ne réside pas seulement dans la qualité d'écriture de Van Hamme ! Mais également dans l'incroyable coup de crayon du maître Rosinski !
Avec cet univers de fantasy baroque aux inspirations bibliques, Rosinski se lâche.
Il se libère de toutes contraintes et nous offre des batailles épiques et guerrières foisonnantes de détails, des créatures majestueuses s'inspirant de la fantasy classique mais non-dénuée d'originalité, des paysages grandioses et évocateurs, des personnages aux traits stupéfiants et aux émotions parfaitement lisibles et des forteresses aux dimensions cyclopéennes et à la présence inquiétante.
Son dessin est magnifié par un choix des couleurs pertinent : un Noir et Blanc charbonneux maîtrisé aux contrastes lumineux précis qui donne à cette histoire toute la profondeur poétique et pessimiste nécessaire.


Le Grand Pouvoir du Chninkel est une œuvre que je n'oublierais pas de sitôt.
Avec son histoire simple mais pourtant plus subtile qu'il n'y paraît et propice à une seconde lecture, ses personnages attachants, sa critique acerbe de la religion et de la fatalité du destin, son rythme effrénée, son univers de fantasy féerique, sombre et charmant et son dessin beau à en pleurer, Le Grand Pouvoir du Chninkel est, et je n'ai pas peur de le dire, un joyau, un Chef d’œuvre du 9ème art.
J'en ai encore le souffle coupé.


Merci Van Hamme, Merci Rosinski, vous me rappelez pourquoi j'affectionne autant le monde riche et formidable de la bande dessinée.

Asarkias
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le 4 janv. 2015

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Asarkias

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