Enfin !
Il était temps que Yoann & Vehlmann nous sortent une aventure de SPIROU & FANTASIO digne de ce nom. Ce n'est certes pas un grand SPIROU, mais c'est un bon tout de même (du niveau d'Alerte aux zorkons, ce qui n'est déjà pas si mal, vue la tronche des 2 précédents).
En fait, le côté historico-archéologique de l'aventure (avec des références réelles) place celle-ci à un niveau plus élevé que la stupide course-poursuite à travers le monde pour trouver un costume de rechange, ou que la fête foraine sur la Lune avec des starlette, basketteur et loup-garou idiots.
Les clins d’œil à INDIANA JONES, référence avouée et assumée dès le départ, sont d'ailleurs excellents.
Si dans l'ensemble Le Groom de Sniper Alley est une réussite, il n'est cependant pas exempt de défauts, dus tant au dessinateur qu'au scénariste.
Il y a notamment toujours un problème avec le côté patachon de Yoann.
Le fait que son trait dépasse systématiquement des cases traduit une certaine mentalité. Un certain j'm'en-foutisme. Ce n'est pas du travail soigné et ça démontre un manque d'exigence envers lui-même sur son propre travail (Et que dire des erreurs grossières de continuité non respectées !? Une bibliothèque haute devient un tableau à la case suivante, puis devient une bibliothèque basse et un tableau encore après).
Ses tics graphiques sont agaçants. Je pense évidemment à la profusion de sourires de type "banane blanche à carreaux" qu'on trouve partout dans la Nouvelle BD, ou aux faciès de certains personnages secondaires (le caporal Michel en tête et parfois Spirou lui-même) qui ne correspondent pas à l'esthétique de la série. Mais pour ce dernier point, il y a une nette amélioration par rapport à La Vipère. On peut également se montrer sceptique face à son Vito Cortizone.
Il a aussi des problèmes de mise en scène : pourquoi Vito se casse la figure lorsqu'il s'installe à table ? Il faut revenir une case en arrière pour comprendre d'où vient la platée de pâtes qu'il se prend sur la tête. Poppy qui expérimente son côté "catastrophe naturelle" n'est pas immédiatement lisible. Dommage, l'idée était bonne.
Pour ce qui est du scénario, ça se tient. C'est cohérent de bout en bout et le récit est homogène. On ne perd pas son temps avec du remplissage.
En revanche, le côté moralisateur de Spirou dans les premières pages, toujours avec ce même langage artificiel, donne trop la sensation que l'auteur cherche ses mots et manque de vocabulaire (sensation accentuée par le suremploi de guillemets). C'est maladroit et pour un scénariste, ça la fout mal.
Autrement, si certaines répliques sont bien trouvées (notamment par Martin), d'autres sonnent faux ("Mon cœur saigne"), tombent à plat ("le déguisement de maman". Allo ?) ou détonnent carrément par leur jeunisme ("kifer la vibe de l'aventure" Beuark).
Et puis il y a cette scène un peu gênante où un couple aswanais explique à Spirou la situation de leur pays de manière très réaliste, et juste après on voit des gamins estropiés jouer au foot (un qui marque un but avec son pied... qu'il tient dans la main). Cet humour noir aurait très bien pu fonctionner dans un contexte plus neutre, comme à la page précédente, mais juste après des explications très sérieuses et très réalistes (ici, on nous parle clairement de l'Iraq), c'est d'assez mauvais goût. Ça ne fonctionne pas.
Il n'en reste pas moins que malgré ces défauts notables, on lit pour la première fois depuis longtemps un bon SPIROU qui, sans évoluer dans notre monde nous parle tout de même de lui et de ses contradictions. Le contexte guerrier n'est pas racoleur pour autant, et hormis la petite faute de goût évoquée ci-dessus, les auteurs ont su rester dans le cadre traditionnel de la série.
La fin est bonne, de même que sa structure. L'anecdote des gaufres de Fantasio arrive à bon escient pour annoncer une issue qui laisse imaginer beaucoup de choses et qui, contrairement à celles des trois tomes précédents, suscite l'intérêt réel du lecteur.
Vivement la suite ! se dit-on pour la première fois depuis des années.