Avec Sous la surface le dessinateur Allemand Uli Oesterle nous propose le Livre 2 de sa série Le lait paternel, suite du Livre 1 Les errances de Rufus Himmelstoss.
Comme son titre l’indique, le Livre 1 présente la famille Himmelstoss, avec les agissements inconséquents (errements et absences répétées) de Rufus, le père, jusqu’en 1975, avec les dégâts que cela a provoqué dans l’esprit de son jeune fils Victor. Ce Livre 2 poursuit l’investigation.
Les errances de Rufus continuent
Chaque époque est présentée selon un choix de teintes immédiatement distinctes, ce qui permet une nouvelle fois au dessinateur d’alterner entre un présent narratif et le passé correspondant à la jeunesse de Victor.
Au Livre 1, une voiture accidentée attirait l’attention par des touches de couleurs. On sait désormais que Rufus était responsable de l’accident, on sait aussi quelles en ont été les conséquences. Si Rufus s’en est tiré physiquement, on réalise que d’un point de vue psychologique, c’est une tout autre histoire. Avec les informations de ce Livre 2, on comprend mieux pourquoi Rufus a complètement disparu de la circulation…
Dévasté
Incapable d’assumer les conséquences (irréparables) de ses erreurs – et même si on ne sait rien des circonstances de l’accident – on sait que dans les années 70, Rufus fut l’homme de tous les excès : les femmes, l’alcool et la drogue, ce que le Livre 1 faisait sentir avec un talent certain. Rongé par la culpabilité, Rufus sombre littéralement. Ce Livre 2 nous montre que, même tombé très bas, tout un chacun peut trouver les soutiens les plus inattendus et considérer que la vie vaut malgré tout d’être vécue. Ainsi, Rufus fait une rencontre déterminante qui lui permet de voir les choses sous un jour un peu moins sombre. Bien entendu, rien n’effacera la culpabilité malheureusement si bien ancrée dans son esprit qu’elle se rappelle à lui dans son sommeil ou bien à des moments où il se laisse un peu aller. Mais, il trouve à se rendre utile et réalise qu’on peut vivre avec d’autres motivations que celles qui l’animaient précédemment. Plutôt que de vivre en profiteur ou en jouisseur, il apprend à adopter un comportement plus désintéressé et s’ouvrir à la détresse humaine, faire son possible pour la soulager. Il va même en arriver à penser qu’il peut peut-être regagner du terrain du côté de sa famille. Arrivent la fin des années 70 et le début des années 80. Ayant finalement renoncé à revenir à sa vie familiale antérieure, Rufus pense désormais uniquement au bien être de son ex-femme, mais son plan est quand même un peu tordu.
Maintenant, grattons
Le début et la fin de ce Livre 2 donnent à réfléchir. En effet, le prologue se passe au cimetière et ce sont bel et bien les paroles de Rufus qu’on lit, telles celles d’un mort-vivant, et c’est encore lui qu’on voit émerger du sol justement comme un mort-vivant qui donne la frousse de leur vie à un jeune couple. Ce prologue donne l’impression que Rufus a droit non à une deuxième vie, mais qu’il va poursuivre son errance comme un être se mouvant parmi les vivants sans la possibilité d’interférer pour de bon avec eux. Quant à la fin, dessinée de manière opaque comme si Rufus voyait tout dans le brouillard d’une semi-conscience, lui qui vient de s’évanouir, qu’en penser également ? Surtout que, lorsqu’il émerge de cet état particulier, c’est pour détaler tel un lapin, comme s’il avait enfin la bonne idée pour recoller les morceaux de son existence. Bien entendu, il ne peut être question que de sa vie sentimentale. Enfin, dernière idée qui reste à creuser, car seule la suite pourra ou non la confirmer, la fin du Livre 1 laissait entendre que le rêve de Victor était de faire une BD. On peut donc se demander si ce Livre 2 ne serait pas tout simplement la concrétisation de son rêve, ce qui collerait avec le fait qu’Uli Oesterle s’inspire de son passé familial pour élaborer cette série. Le dessinateur annonçant d’ores et déjà que Le lait paternel sera une quadrilogie, nous n’en arrivons encore ici qu’à la moitié. Il nous reste donc pas mal de choses à comprendre pour que toutes les pièces du puzzle s’organisent correctement. Cela devrait correspondre à la période entre le début des années 1980 et 2005, date de l’enterrement de Rufus (voir le Livre 1). Quant au présent narratif, il semble cette fois se situer à une période où Victor, la trentaine, fait une balade en montagne avec sa femme et leur jeune fils. Autre détail accréditant la thèse de Victor narrateur-dessinateur, celui-ci dialogue parfois avec une sorte de petit personnage flou (et verdâtre) qu’il nomme Ulrich et qui représente apparemment sa conscience. Le dessinateur s’inspirant de son passé familial pour une sorte de catharsis, Le Lait paternel est probablement une mise en abyme de ce qu’il a en tête où quelques souvenirs romancés se trouvent mêlés de façon inextricable à ses fantasmes d’artiste.
Avis à parution
Ce Livre 2 est moins marquant que le Livre 1 pour l’état des lieux de l’Allemagne de l’époque. Ici, on s’immerge essentiellement dans l’univers des marginaux mangeant à la soupe populaire. Par contre, les questions continuent de s’accumuler au fil des huit chapitres (autant qu’au Livre 1) et des 136 pages. Les péripéties jouent un peu trop sur des hasards qui arrangent bien la narration, avec notamment cette policière obsédée par l’affaire jamais résolue de l’accident causé par Rufus. Préférant démissionner pour pouvoir poursuivre son enquête, cette femme trouve un petit boulot de survie là même où Rufus en a trouvé un. Cela se révèle source de quiproquo. Avec le même talent qu’au Livre 1, le dessinateur alterne les périodes avec aisance, pour faire avancer son intrigue en distillant les informations essentielles et en enrichissant les portraits psychologiques de ses personnages qu’il dessine sans concessions. Le trait fait la part belle aux angles, même sur les visages, ce qui reflète bien des caractères bruts dans l’ensemble. Cela n’empêche pas quelques moments bien inspirés où le trait se fait particulièrement expressif, ainsi que quelques dessins grande taille notamment pour des lieux ainsi mis en valeur. On attend évidemment la suite !
Critique parue initialement sur LeMagduCiné