Le Loup des mers
7.8
Le Loup des mers

BD franco-belge de Riff Reb's (2012)

Le Loup des mers par Christine Deschamps

Deuxième adaptation d'un roman en BD, pour moi, en quelques semaines : après le magistral Karoo, voici celle de Jack London par Riff Reb's. Je n'ai pas lu l'histoire originale, et je ne pense pas le faire, pas plus que je ne suis attirée par Moby Dick. J'ai le pied littéraire assez peu marin, mais il faut avouer que la mer est ultra bédégénique, avec ses tempêtes monstrueuses et son langage graphique à la scansion imparable. L'auteur sait ici en tirer un parti impressionnant, tout comme il se montre à l'aise dans l'optimisation de l'espace claustrophobique du bateau. Ses cadrages toujours renouvelés y sont pour beaucoup, et les mornes étendues d'eau prennent sous son pinceau des physionomies qui les dotent de caractères propres, comme s'il s'agissait des humeurs de personnages récurrents. Forcément, on s'attache. Quant aux véritables personnages, ils s'avèrent pleins de sel, que ce soit le petit mousse séquestré, ancien critique littéraire de nature délicate, ou son créateur sadique, ce capitaine herculéen qui prend plaisir à chahuter son code de valeurs étriqué. Il se joue là un bras-de-fer assez terrible, entre une force de la nature impitoyable, émanation marine aux allures de Kraken, et un représentant chétif de ce qu'on appelle parfois la civilisation. Et, curieusement, leur champ de bataille est la philosophie... Passée l'étrangeté de ce biais, il se révèle étonnamment fertile, et les deux ennemis se livrent à des joutes féroces, que le capitaine aux dents longues se pique d'illustrer par des trouvailles didactiques plus cruelles les unes que les autres envers son équipage. Les joies du nihilisme. Le huis clos permet d'exacerber les tensions, et le voyage vers la mer du Japon d'assurer une unité de temps et de lieu qui fait office de cocotte-minute. Les esprits s'échauffent, les tensions s'exaspèrent, le lecteur jubile. Jusqu'à une fin remarquablement romanesque. Bref, un joli voyage sur les eaux troubles du désir de domination, sans espoir d'échappée belle, impitoyable jusqu'au bout. Je souligne en prime l'usage de monochromes du plus bel effet, un par chapitre, globalement, avec quelques notables exceptions. Et un petit bémol bien véniel : l'irruption du crayon gras (ou un truc dans le genre) dans les aplats, notamment célestes et orageux, qui contrarie un peu la puriste que je suis, un peu hostile à la technique mixte chez les autres (parce qu'il me faut avouer que j'y recours régulièrement pour me simplifier la vie, la faute au caractère tout-terrain des Posca...). Rien de bien méchant, parce que c'est quand même très réussi et assez bien dosé.

Créée

le 26 févr. 2020

Critique lue 70 fois

1 j'aime

Critique lue 70 fois

1

D'autres avis sur Le Loup des mers

Le Loup des mers
jerome60
7

Critique de Le Loup des mers par jerome60

Ce ne devait être qu’une formalité pour le critique littéraire Humphrey Van Weyden. La traversée de la baie de San Francisco, il l’effectuait chaque samedi pour rejoindre un ami. Seulement ce jour-là...

le 27 mars 2013

7 j'aime

1

Le Loup des mers
Eric17
10

Critique de Le Loup des mers par Eric17

Le Loup des Mers est un avant tout un roman de Jack London datant du début du vingtième siècle. Je ne le connaissais pas jusqu’à ce que mon frère m’offre une adaptation de cette histoire en bandes...

le 19 août 2013

4 j'aime

1

Le Loup des mers
Marco
9

Critique de Le Loup des mers par Marco

Un bel objet que cette adaptation d'un roman de Jack London. On ressent une sacré puissance dans le dessin, il est tout bonnement sublime. Chaque chapitre bénéficie d'une couleur maîtresse. Cela...

le 27 août 2014

2 j'aime

1

Du même critique

Watchmen
ChristineDeschamps
5

Critique de Watchmen par Christine Deschamps

Il va vraiment falloir que je relise le somptueux roman graphique anglais pour aller exhumer à la pince à épiler les références étalées dans ce gloubiboulga pas toujours très digeste, qui recèle...

le 18 déc. 2019

23 j'aime

3

Chernobyl
ChristineDeschamps
9

Critique de Chernobyl par Christine Deschamps

Je ne peux guère prétendre y entendre quoi que ce soit à la fission nucléaire et, comme pas mal de gens, je présume, je suis bien contente d'avoir de l'électricité en quantité tout en étant...

le 9 sept. 2019

13 j'aime

5

Tuer l'indien dans le cœur de l'enfant
ChristineDeschamps
8

Critique de Tuer l'indien dans le cœur de l'enfant par Christine Deschamps

Civilisation : "État de développement économique, social, politique, culturel auquel sont parvenues certaines sociétés et qui est considéré comme un idéal à atteindre par les autres." Cela ne...

le 16 avr. 2021

11 j'aime

4