Alors que défilent à nouveau en France des bataillons de personnes réclamant des repères pour leurs enfants, on se dit que s'ils en réclament tant, et de manière si véhémente, c'est qu'ils doivent en manquer cruellement. Sur des sujets qu'ils esquissent autant qu'ils esquivent bien entendu. Du coup, focus sur un titre qui en fournit, justement, des repères, sur l'homosexualité, et en profite pour délivrer une véritable leçon de savoir-vivre... ensemble !
La France serait un pays ouvert, tolérant. Et les avancées sociétales réelles pour les communautés homosexuelles, comme en témoignerait la récente loi sur le mariage pour tous. Tout va très bien alors ? Difficile de le concevoir au vu des réactions que cette loi a pu susciter et de la manière dont ses opposants s’invitent encore aujourd’hui dans le débat public, avec un argumentaire et des postures qui frisent souvent ouvertement l’homophobie.
Difficile encore si, de l’autre côté, on admet que sur la question de la famille, de son modèle, la loi s’est en fin de compte montrée très timide, pour ne pas dire timorée. Ça coince manifestement dans une société qui, passée les discours, dans la pratique et l’expression, expose au grand jour les limites de sa tolérance.
À l’inverse, le Japon serait un pays réactionnaire, conservateur, et clairement homophobe. Peut-être, à vrai dire on n’en sait trop rien et l’on accueille là un cliché que la production manga permet toutefois rapidement de relativiser ou du moins mettre en perspective. Car la représentation de l’homosexualité dans le manga s’opère selon deux perspective distinctes, chacune assez codifiée, et toutes deux, au fondement de leurs démarches, militantes et cherchant à briser des tabous sociaux: le yaoi et le bara. Et l’auteur phare du bara, Gengoroh Tagame décide justement de faire œuvre de pédagogie à travers un superbe série : Le Mari de mon frère, disponible chez Akata.
Le manga s’ouvre sur le quotidien de Yaichi, jeune homme élevant seul sa fille, Kana, en élémentaire. Mais leur mode de vie bien réglé va se trouver bouleversé par l’irruption de Mike Flanagan. Un barbu canadien venu au Japon pour découvrir le pays de son défunt mari, frère jumeau de Yaichi !
Méfiance et préjugés seront les premiers réflexes de Yaichi face à cet intrus qui lui est, à tout point de vue, étranger. Mais les interventions et questionnements de Kana, dont l’innocence relève là davantage d’un bon sens naturel, amèneront notre héros à revoir son jugement et à interroger son propre comportement. Et nos trois personnages d’apprendre à vivre ensemble pour quelques temps.
Se manifestent là les évidentes qualités du Mari de mon frère. Il y a tout d’abord un talent, qu’on observe de manière privilégiée dans le manga - ne pensons qu’à Yotsuba & ! - pour peindre les enfants et leur faire endosser un rôle actif dans le discours tenu par le titre. C’est ici Kana qui démêle les sentiments contradictoires de son père et permet à la raison de se faire entendre. C’est tendre, mignon et surtout d’une véritable justesse.
Tout cela se met donc au service d’une intention didactique pertinente et même, serait-on tenté de dire, nécessaire. Il s’agit là de battre en brèche idées reçues et réflexes haineux concernant l’homosexualité. Leçon de tolérance, Le Mari de mon frère tente de nous sensibiliser au respect des différences et à l’acceptation des choix de vie qu’elles impliquent. Clairement militant, et soutenu par des développements informatifs entre les chapitres, ce titre s’engage à travers le récit d’une histoire touchante.
C’est, qu’enfin, Le Mari de mon frère propose un premier trio de personnages très attachants. Entre la candide et craquante Kana, le confondant Mike et le mal à l’aise Yaichi, la dynamique s’avère excellente. Et derrière la situation tragique qui les réunit, et le combat militant, c’est un autre discours qui peut se faire entendre, en sourdine : celui de la parentalité dans les couples homosexuels.
Car c’est bien cela qui apparaît mis en scène symboliquement tout au long du tome 1, entre absence de la mère et mort du frère jumeau. Nous voyons là deux hommes parfaitement à même de s’occuper d’une petite fille qui ne s’offusque pas que soient assumées par des hommes des tâches "habituellement", ou culturellement, dévolues aux femmes, aux mères. Si le tome 2 change un peu la donne, cela ne modifie pas l’engagement dont a pu faire montre ce remarquable début de série. On aboutira même à un discours ouvert sur l’homoparentalité.
Salutaire en cette période où l’on entend malheureusement, à ce sujet, trop de discours ignorants, intolérants et rétrogrades. On ne saurait donc en recommander la lecture... à tous !
Chronique originale, plus ample et illustrée sur actuabd.com