S'il rassurera les déçus des derniers albums signés Uderzo, ce 36ème tome est malheureusement dans la lignée du 35ème.
Didier Conrad et Jean-Yves Ferri font énormément d'efforts pour contenter les fans d'Astérix, mais le génie n'est clairement pas là. Les jeux de mots sont souvent trop appuyés (ex : le numide qui fuit) et bien loin de la finesse du grand Goscinny. Plusieurs vannes tombent à plat ("le char de Phoebus", "c'est nous les pigeons") et je trouve les textes de Ferri un peu trop familiers pour l'univers du petit Gaulois ("voilà un titre qui claque", "les autres vont être verts", "c'est du brutal"). Le scénario est quant à lui assez simpliste, et comme s'il cherchait à combler le vide entre deux jeux de mots peu inspirés, l'auteur use et abuse des fameuses engueulades entre Gaulois (un peu ça va, mais ici, les personnages hurlent quasiment à chaque page).
Pour un œil non averti, le dessin paraîtra très proche de celui d'Uderzo. Mais lorsqu'on y regarde de plus près, certains défauts sautent aux yeux. Déjà, la police d'écriture est affreuse. Plus grave, Astérix a le regard mort. J'avais déjà constaté ce détail dans le précédent tome, et on pouvait alors imputer ce souci à l'urgence dans laquelle Conrad avait dû s'approprier les codes d'Uderzo. Mais depuis lors, deux années se sont écoulées, et le petit Gaulois est toujours aussi inexpressif. Pire, dans certaines cases, il me rappelle le Astérix désincarné du sinistre album paru en 2005 ("Le Ciel lui tombe sur la tête"). C'est dommage, car les autres villageois sont réussis, à commencer par Obélix qui est parfaitement cerné aussi bien au niveau du trait que du caractère.
En ce qui concerne l'histoire, on nous parle d'un mystérieux chapitre inédit de la guerre des Gaules, ce qui, à l'heure du scandale Wikileaks, permet aux auteurs d'aborder des thèmes tels que la censure, la désinformation ou la réécriture de l'Histoire par les vainqueurs. Plus concrètement, les successeurs de Goscinny et Uderzo emmènent à nouveau nos héros dans la forêt des Carnutes interdite aux non druides (voir "Astérix et les Goths"), et pendant leur absence, nous verrons que Bonemine la féministe a toujours autant d'ambitions de pouvoir… L'édition collector, dans laquelle on retrouve par ailleurs de magnifiques crayonnés, m'a permis d'apprendre que Conrad avait caricaturé des personnalités telles que Jacques Séguéla, Franz-Olivier Giesbert, Jean Reno, Julian Assange et Alfred Hitchcock, mais si je suis honnête avec vous, je n'ai reconnu aucun d'entre eux !
Si l'album est imparfait et bien loin des standards établis par Goscinny, j'ai apprécié le conciliabule nocturne dans la hutte du chef, ainsi que tout ce qui est relatif à l'horoscope d'Obélix. Si on m'avait dit qu'un jour je le verrais résister à l'appel des sangliers et des Romains, je ne l'aurais pas cru… J'ai également été amusé de voir que, tout comme dans l'Odyssée d'Astérix, nos 2 héros moustachus dormaient dans la même chambre alors qu'ils possèdent chacun leur propre hutte. Par contre, j'ai un peu tiqué en voyant un Panoramix ébouriffé se battre contre les légionnaires, et j'aurais pu me passer de la présence d'une licorne et des références peu subtiles à Twitter et au morse. Et que dire de cette facilité scénaristique qui voit Astérix et le vieux druide parcourir 450 km en quelques minutes, grâce aux effets de la potion magique ?!! On ne se moquerait pas un peu du lecteur, par hasard ?
Au final, le Papyrus de César est un album tout juste correct, qui ne restera pas dans les annales. Moins catastrophique que les abominations parues entre 1996 et 2005, mais à des années lumières d'un Bouclier arverne ou d'un Obélix et compagnie, cette 36ème aventure me laisse assez circonspect quant au choix de Conrad et Ferri pour perpétuer les aventures d'Astérix et ses amis. L'écriture manque de finesse et de génie, certaines pages avec les Romains sentent bon le remplissage, et le dessin reste toujours un peu trop approximatif pour contenter les fans des irréductibles Gaulois.