Avec son format 22x22, Le petit livre de la bande dessinée ne se glissera pas dans toutes les poches.
Mais il se place très bien entre deux mains, et les plus curieux tenteront la manœuvre suivante : une paluche tenant l’ouvrage et l’autre allant compléter les informations en faisant des recherches sur Internet.
Ce n’est pas que l’ouvrage soit rempli d’erreurs, il ne m’a pas semblé en apercevoir, ou si peu, c’est bon signe. Mais que le concentré d’informations est tel que tout curieux de la bande dessinée peut être tenté d’en savoir un peu plus sur tel auteur cité, tel ouvrage recommandé.
L’ouvrage d’Hervé Bourhis et Terreur graphique, reconnus bédéastes, parcourt ainsi toute l’histoire de la bande dessinée, de ses premières possibilités jusqu’à 2014, date de sortie du livre.
Année par année, comme un almanach, les grands événements du monde de la bande dessinée sont ainsi présentés par de petites notules, accompagnés parfois de dessins qui reprennent le style des auteurs évoqués. C’est court, c’est concis, mais c’est bien fait. Le point de vue central est évidemment franco-belge, mais les États-Unis ne sont pas en reste, et le Japon non plus, tandis que pour les autres pays c’est plus anecdotique (mais on y parle des Moomins, donc ça va). Pêle-mêle, les grands événements éditoriaux sont présents, de grands groupes ou de fanzines qui ont eu leur importance, les étapes biographiques importantes de certains auteurs, et tout ce qui peut aller autour, tels que la naissance de grands festivals (comme à Angoulême, évidemment), la remise de prix (un Pulitzer pour Maus en 1992) quelques soubresauts politiques (la Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence à partir de 1949 en France ou aux Etats-Unis le Comics Code en 1954) et même quelques anecdotes bien trouvées qui ne manquent pas de sel (les scandales de « La demoiselle de la légion d’honneur » d’Annie Goetzinger et Pierre Christin ou des Tintin officieux de Jan Bucquoy en 1980).
Le ton est d’ailleurs parfois un peu moqueur, de quoi éviter une lecture trop étouffante, on rit aussi. Lanfeust de Troy (1995) est présenté ainsi : « grosses épées + gros nichons = la recette du gros succès ». Même si on pourra pester contre quelques piques un peu faciles. Eega Beeva, l’extra-terrestre ami de Mickey, crée en 1947, est ainsi présenté comme le « pire personnage de fiction avant Jar Jar Binks ». Pourquoi pas. Mais sur trois allusions à Stan Lee, deux font référence à sa prétendue perruque, c’est un peu lourd.
Avec une demi-douzaine de capsules par page sur près de 200 pages, autant dire que l’ouvrage déborde d’informations, bien que concentrées, parfois évasives ou allusives. Difficile de prétendre à l’exhaustivité, mais la liste force le respect, d’autant que les auteurs reconnaissent des oublis inévitables. Une fois encore, difficile de les prendre en défaut (même si Gen d’Hiroshima n’est pas le premier manga publié en France, mais pas loin), tant c’est complet et foisonnant. On pourra reprocher certains auteurs ou œuvres dont l’importance dans le milieu peut être questionnée, mais c’est leur point de vue, pourquoi pas. L’ouvrage reste tout de même avare sur les adaptations de bandes dessinées en séries ou au cinéma, ce qui reste dommage, tant c’est une extension légitime du sujet.
A noter que chaque année se conclut par la réinterprétation d’une couverture d’un album phare de cette année par un dessinateur connu. Et que, comme toute reprise, les plus intéressantes sont celles qui le font avec une nouvelle idée plutôt que de singer l’existant. L’étoile mystérieuse de Tintin (1942) par Catherine Meurisse en une réinterprétation sexy ferait hurler quelques vieux tintinophiles, La Ballade de la mer salée (Corto Maltese, 1975) en quelques plages de couleurs par Cyril Pedrosa est très évocateur tandis que le Hellboy (1996) par Christophe Gaulthier lui offre une nouvelle personnalité plus européenne, parmi d’autres bons élèves à côté de ceux trop timides ou trop paresseux.
Avec son cheminement chronologique, c’est donc toute l’histoire de la bande dessinée qui se présente au lecteur, dans un accéléré composé de flashs sur tel événement marquant. Une histoire loin d’être linéaire, même si quelques grandes époques, telles que celle des comic-strips ou de la bande dessinée underground aux Etats-Unis, des revues jeunesse en France, sont identifiables et passées, encore que nous ne sommes pas à l’abri de retours de mode. Le monde de la bande dessinée vit tout de même un bel âge, où les auteurs de BD sont maintenant reconnus comme tels, et où la diversité éditoriale est maintenant variée, provenant de nombreux pays et sensibilités.
Pourtant, pour le curieux de BD, à qui l’ouvrage est destiné, le néophyte risquerait de vite décrocher, il reste encore tellement d’oeuvres encore mal connues chez nous, pour cause d’éditions vieilles de plusieurs décennies, de sorties discrètes et parfois d’absence de sorties chez nous. C’est aussi tout le mérite de cet ouvrage, d’aller vers des bandes dessinées moins connues mais importantes, à l’image de He Done Her Wrong de Milt Cross (1930), La bête est morte de Calvo (1945), Beetle Bailey de Mort Walker (1950), Cheech Wizard de Bodé (1967 ou de Comix 2000, et tellement d’autres qui donnent envie d’être redécouverts, en fouillant chez un bouquiniste ou en attendant une (re)édition un jour. Cette rétrospective de la BD dans ce pas si petit livre a au moins cet avantage, donner envie de plonger dans le passé de ce milieu, riche en histoires et en idées dont le lecteur, et même probablement le plus pointu, n’a pas fini de découvrir encore quelques pépites ou même quelques classiques encore non lus.