A première vue, je m'étais méfiée de la couverture vaguement psychédélique. J'ai ce goût coupable pour le classicisme en dessin qui m'a fallu déjà quelques beaux retournements de veste devant des évidences graphiques que mon snobisme aurait pu me faire rater. L'insistance croisée de mes libraires a eu raison de mes résistances et je leur dois des remerciements, parce que, grâce à eux, j'ai plongé dans ce destin plein de similitudes avec le mien (un grand-père héroïque, la coupe au bol, les copains à bicyclette, la maison des années 70, le dessin, les Granolas...) et un album plein de liberté, de vérités et de ressources artistiques autant que poétiques. L'auteur, descendant d'un réfugié républicain espagnol, y retrace son enfance et sa jeunesse, à l'ombre de cet aïeul tutélaire, à la fois familier et mythique. Ses parents étaient plus engagés que les miens et il a fait une école d'art, lui, mais quand même, j'ai été troublée par sa capacité à faire de son particulier notre universel. Sa reconstitution minutieuse de la France de notre enfance mérite panthéonisation, tout comme celle de l'auteur des Vieux Fourneaux. Ils sont nos La Fontaine contemporains, ces poètes qui savent capturer l'essence d'une époque et la mettre au service d'une réflexion qui n'a que les allures de la légèreté. Je n'avais rien lu de David Sala jusque là, je vais me dépêcher de réparer cette lacune; sa manière de mêler ses travaux antérieurs à cette présente somme a créé un appétit... Je ne veux pas m'étendre et analyser trop avant toutes les trouvailles qui m'ont transportée en gâchant le plaisir de la découverte des futurs lecteurs de ce très, très bel album, qui fait aimer nos semblables au lieu de juger, diviser et classer comme tant de discours actuels. Pour ça aussi, il mérite le respect. Bref, un volume que je suis fière d'ajouter à mon rayonnage de lectures marquantes.