Loin des récits denses et empreints d’une légère touche de fantastique auxquels Jirô Taniguchi nous a habitué, Le Promeneur est un court volume sous forme de recueil : pas de narration linéaire, pas de grande histoire, ici le mangaka illustre huit
errances dans les quartiers de Tokyo
scénarisées par Masayuki Kusumi, complice de l’artiste sur quelques autres projets.
Même en marchant au hasard, je tombe toujours sur des endroits
intéressants.
Un cycliste se fait voler le vélo qu’il n’attache jamais, un peu naïf quant à la nature humaine. Qu’à cela ne tienne, l’homme s’adapte, change son mode de transport et commence alors de profiter dorénavant de la ville à pieds. L’ouvrage se découpe en huit promenades et si l’aspect touristique pour le lecteur européen donne un intérêt particulier au recueil, au-delà c’est
l’errance nonchalante
qui s’y exprime qui séduit et mène autant la lecture que la réflexion, au rythme léger des flâneries. Nostalgie d’époques révolues et des dédales typiques d’un antique Tokyo en constante transformation, Le Promeneur invite à l’observation autant qu’à l’évasion. En disséminant çà et là l’empreinte fragile de rêves d’enfants, en jouant de la projection consciente de l’esprit dans le décor, Masayuki Kusumi pousse Jirô Taniguchi à dessiner
l’imaginaire en action au fil de ballades calmes et attentives.
Et pose un regard sur le monde.
Et moi, au milieu de cette foule de dormeurs, éveillé et
solitaire, je marche.
Le trait de Jirô Taniguchi est égal à lui-même : on y retrouve la précision et la finesse habituelle dans un noir et blanc soigné, les portraits sont doux et expressifs, invitent à l’identification, et les décors jouent le jeu de la promenade touristique. Le seul bémol, pour ceux d’entre nous qui n’ont pas eu la chance de se rendre au Japon, ce serait l’absence de couleurs : la curiosité ronge face aux superbes restitutions des décors dont on ignore finalement s’ils sont rouges ou gris, s’ils mêlent l’éclat de couleurs vives au contraste des ombres ou si, comme dans nos villes un peu tristes, la grisaille règne.
Le Promeneur, au cours de ses huit errances tokyoïtes, illustre l’idée de
la marche comme philosophie de vie :
c’est là l’oxygène quotidien de l’esprit sain, le recentrage nécessaire autour d’anecdotes zens propices à la méditation, l’imaginaire qui s’active entre nostalgie et projection. Les deux auteurs, sans autre ambition que celle de mettre en scène la créativité et la méditation, la conscience de soi et du monde, livrent un court recueil indispensable à la quiétude de l’âme. Un petit bijou de manga très accessible, une invitation à sortir de chez soi pour mieux se rencontrer…
La personne qui est présente, là, dans la marche, c’est soi, au
plus près de ce qu’on est vraiment.