"le Quartier de la Lumière" / Asano.. la gravité des corps

"LE QUARTIER DE LA LUMIÈRE" / ASANO


Petite note : je refuse de noter les oeuvres (et mettrai donc 10/10 à chacune...)
10 MARS 2017 ~ MPERRAMUS ~ MODIFIER
« HIKARI NO MACHI » / Inio Asano


J’aime le feuilleton, j’aime les œuvres qui se déploient sur des litres d’encre , j’aime les retours du docteur Pascal dans la saga de Zola, d’un tome à un autre lointain, j’aime le soubresaut de conscience du ghola Duncan Idaho qui se remémore l’instant d’un orgasme les milliers de pages de Dune et les fracas de ses assassinats en chaîne, j’aime le feuilleton, les œuvres qui se déplient sur un suspens infini et indécidable de temps, comme celui qui reste à Raoul Endymion pour raconter le messie, le fleuve et la quête du Gritche… J’ai aimé si peu de nouvelles, je ne comprends pas la forme courte, je ne comprends pas les chutes qui résolvent des récits dans des gueules de bois rhétoriques, vaines et brillantes… « comme des larmes ? »… Et puis, j’ai lu ce court one-shot « le Quartier de la lumière » d’Asano… Et puis, j’ai essayé d’écouter les cigales du « Quartier de la Lumière » d’Asano, celles que l’on n’entend plus parce que des mètres d’asphalte recouvrent les pores de la terre qui permettaient à leurs larves de sortir des gouffres… Récemment, on m’a dit : « Solanin (du même auteur), cette œuvre, c’est la bible, une chanson pour les gens… comme « nous » … » Je n’ai rien à expliquer, Asano ne livre pas de message, il ne dit rien, son œuvre a les allures d’une cosmogonie, une machine vibrante, un centre de gravité en lequel se ramassent les forces qui ébrèchent toute cohérence au fur et à mesure qu’elles créent leur big-bang. Asano, c’est grand et la langue graphique qu’il forge est une proposition magnifique.


(Des moment-clés de l’intrigue seront ici dévoilés…)


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à Joan…


•Le « Quartier de la Lumière », une machine qui vibre dans ses objets et ses lieux propres.
D’abord une chanson et puis une expérience banale : le mangaka, la visite d’un appartement-témoin et l’agent immobilier : « Vous êtes jeunes et vous aurez donc remboursé votre prêt avant 60 ans… » Comme Asano avant lui, ce personnage de jeune auteur un peu paumé a traîné sa compagne dans une errance au cœur de ce quartier défriché la veille, soir de beuverie… repérage pour un futur manga… Un quartier comme héros. Il n’y aura pas « lyricisation » (Maulpoix) d’un paysage, pas de devenir-personnage pour ce lieu mais l’exploration d’une impasse du désir faite machine vibrante. Comme chez Poe ou Bradbury, la ville est un mécanisme livré à une inertie, un mobile soumis à la révolution des corps, une valse plus qu’un ballet des choses, le vertige d’une lente entropie… Les dynamiques presque imperceptibles de ces choses se font échos les unes aux autres, articulées autour de ces quatre concepts / percepts qui hantent ce one-shot : le suspens, la chute, la trajectoire et le circuit…


D’abord, il y a la plateforme où végètent les êtres entre les mondes et les murs, à l’abri ? (« J’ai pensé que derrière une de ces fenêtres, il y avait peut-être ma chambre, mais…je n’ai pas réussi à me la rappeler clairement.»), sur les hauteurs et derrière les vitres, en suspens ? Monde provisoire de l’attente et du départ programmé : l’abri-bus, le toit des immeubles, les chambres d’appartement. Point haut ou rasant d’où on ne voit rien (seul Hoichi voit et raconte l’empreinte de son rêve…) mais duquel on se penche, lieu où l’on peut être surpris ou rattrapé, confondu mais jamais convaincu. On attend le bus, on arrose des mini-tomates flétries, on se pend, on étrangle, on joue, on tire sur les stalkers… Dans ces lieux, rien n’est décidé et l’acte est rendu au geste vain. Suspens insupportable du sens. Quand fuir, c’est foncer ou oublier ou partir ou errer ou déjà revenir….
Et puis, il y a le ciel d’où tombent pépites d’étoiles qui filent sans vœu / il y a l’immeuble et la gravité des corps qui, vertiges, chutent (seul Hoichi, mort, ne tombe pas de l’immeuble mais rejoint un chemin de cigales…) / il y a le distributeur de boissons qui orchestre les cascades mais au pied duquel ce qui chute n’a jamais appartenu au ventre de verre : un tube de mayonnaise, un téléphone, une étoile… / il y a ce jeu, jenga, dominos miniatures d’immeubles dont la chute insulte les rêves de « fin du monde » du jeune Taiki… L’itinéraire de ces choses mime le rétrécissement du monde jusqu’aux désirs de lendemain des hommes.
Et puis, il y a l’invisible fil qui relie les êtres, Arianes tendues par les canons des flingues, les antennes des téléphones ou la trompe de ce curieux éléphant-arrosoir. Ces objets, on les tend vers ou on les abandonne pour… (seul Hoichi casse son téléphone et préfère un couteau qui ne servira jamais à un flingue qui nierait le suspens de son être…) Ils menacent mais ne tuent pas, ils sont trace de culpabilité et marqueur de complicité, ils sont la preuve mais toujours disparaissent ou se dérobent aux vérités… Ils sont le medium opaque, le fil entre les êtres et la toile qui se referme, l’amour et l’embuscade, la déclaration et la confession…
Enfin, il y a les véhicules, les mobiles (balançoire, voiture de flic ou bus rampant ou volant) qui avalent les êtres pour les cracher un peu plus loin … « Tu tournes en rond. Tu passes et tu repasses ! Révolte-toi contre la Providence !! » Il y a trois types de circuit, celui qui emporte les fugueurs et les laisse faire un pique-nique avant de les reprendre à l’amour, celui qu’on impose au dominant pour le piéger et qui se paie de la vie dans le fracas qui emportera Hoichi, celui qu’on rêve et qui ouvre les âmes de deux jeunes filles à la révolution des corps, c’est à dire un tour sur soi-même… Manège et prix du ticket, vanité et assistance publique, rêve et oubli…


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• « Le quartier de la lumière » : des choses aux êtres, questions suspendues à la réversibilité du sens / le secret de la binarité…


Mais encore une fois, un décor n’est pas personnage, les choses ne creusent pas une intériorité, elles résonnent les unes avec les autres et de ces échos doit naître une machine désirante, une géométrie du délire qui entraînera les êtres et dessinera le motif de leurs relations. C’est « le continent noir » d’Asano qui s’entr’ouvre ici : derrière les percepts du suspens (1), de la chute (2), de la trajectoire (3) ou du circuit (4), c’est le ballet du désir et de l’absence qui s’ouvre à nous. Les choses dessinent la ligne sinueuse d’un délire d’enfant, associations d’esprit oniriques qui se fraient un passage à travers l’absurde. L’œuvre d’Asano noue des situations qui tordent les êtres et ouvrent sous leurs pieds une brèche, le néant est-il le prix à payer pour la révélation de l’absurde ? A première vue, si la machine des choses que nous avons décrites entraîne les êtres dans un ballet vertigineux, elle ne se confond pas avec le système de relations mis en place entre les personnages. Celui-ci semble bien plus se révéler à l’aune d’une binarité obsédante, écrasante derrière son apparente naïveté de ritournelle. Comment glisser des choses résonnantes aux êtres désirants et perdus ?


Il est intéressant ici de remarquer qu’Asano ne construit pas ses personnages comme autant d’obliques, de devenirs qui parfois se croiseraient. Son exploration de l’absurde n’est pas dans la prolifération de lignes de vie tracées à la lame sur chaque paume de main mais dans la mise en place d’un réseau de personnages autour d’une série de binarités. Ainsi d’une part, Asano inscrit ces binarités dans les pages de transition entre ses chapitres, haïkai naïfs, refrains de chanson, dont la symétrie est à elle seule signifiante « Il y a des gens qui changent, d’autres pas… » (fin du prologue) / « ceux qui font semblant de comprendre et ceux qui font semblant de ne pas comprendre… » (fin du chapitre I) / « Cette personne qui a ce que l’on n’a pas (…) et nous qui avons aussi ce qu’elle n’a pas » (fin du chapitre II) / « ceux qui fuient quelque chose, ceux qui foncent vers quelque chose… » (fin du chapitre III) / « ceux qui s’en vont, ceux qui restent… » (fin du chapitre IV). D’autre part, il ne cesse de creuser, de doubler ces ritournelles par la réversibilité constante du sens des engagements de chacun de ses personnages, par l’inversion perpétuelle des positions relatives des personnages les uns par rapport aux autres : l’oppresseur devient l’oppressé, le dominant devient le dominé, le cauchemar de l’un devient l’adjuvant de l’autre. Un système de réversibilité des rôles viendrait donc doubler la dynamique d’échos poétiques entre les choses que nous avons circonscrite au début de notre propos. Dès lors avant d’analyser plus avant le fonctionnement moléculaire d’une des réactions en chaîne du désir et de l’absence qui caractérise le réseau de personnages de cet univers, rappelons deux impasses traditionnelles de ce type de procédé. D’abord, (un film comme « Huit femmes » d’Ozon nous en semble être un symptôme parmi d’autres) orchestrer une réversibilité permanente des positions des personnages les uns par rapport aux autres peut entraîner une dilution dans un récit, trou noir dévorant les possibles, les personnages n’étant plus que les empreintes, les ombres de la progression d’un récit qui les dépouillerait de toute singularité, de toute épaisseur, de toute opacité. D’autre part, le schéma du « méchant qui serait plus complexe qu’il n’y paraît » peut aussi entraîner une réduction du caractère à une simple trajectoire d’intérêts cachés derrière des motivations évidentes. Si le personnage ne doit pas être pensé en fonction d’un référentiel psychologique, il doit acquérir une épaisseur dans le récit, et offrir une résistance tout autant qu’une accroche à l’imaginaire du lecteur qui tenterait d’y projeter ses angoisses ou obsessions. Comment Asano cheville-t-il son réseau de personnages à la richesse des échos poétiques des « choses » qui construisent « le quartier de la lumière » ? Comment parvient-il à articuler le désir et l’absurde en restant fidèle à son système de binarités, garant d’absurdité explorée ?


C’est tout un système de relations entre les êtres dont la poétique des choses est la maïeutique. Des oppositions que nous avons citées directement, deux lignes de force semblent se dégager: celle de la connaissance de soi (imposée dans sa tension traditionnelle avec l’erreur, l’illusion et le mensonge) et celle de l’action (mise en balance de façon sartrienne avec le geste, ainsi le Kean de Sartre, l’acteur se demandant si sa révolte sur scène contre le Prince alors spectateur de la pièce qu’il a lui-même, sur les planches, bruyamment interrompue est un acte ou encore « un geste d’acteur »…) Tirons un fil parmi d’autres, Tasuku veut éloigner Haruko du « quartier de la Lumière », Tasuku veut « sauver » Haruko du traumatisme que lui a infligé physiquement et psychiquement un stalker et rêve d’être là pour elle, il rêve que, d’accompagnateur de futurs suicidés, il puisse se muer en épique chevalier vengeur. Sur le chemin de leur fugue, il est approché par celui qui l’a démasqué et veut lui proposer de s’enfoncer plus encore dans le néant… Fuir le destin, c’est en fait se jeter dans la gueule du loup aux trois yeux, car ce nouveau tentateur n’est autre que le stalker qui a « marqué » de sa lame la jeune fille aimée. « Tasuku, pour un petit écolier, tu as un sacré regard ! Le regard d’un type qui va passer sa vie accompagné par la mort… » / première ligne de force : la connaissance de soi. Tasuku sort l’arme avec laquelle il a achevé, sans le savoir, le père d’Haruko, sinistre individu qui lui avait demandé de le soulager de sa vie et de sa conscience meurtrière. Il tire mais ne lui arrache que l’oreille et, Haruko près de lui, il se dégonflera au moment d’accomplir l’acte final et découvrira la face cachée de celle qu’il aime, prostituée et roublarde. L’acte vengeur est devenu geste adolescent / deuxième ligne de force. L’oppresseur ici opprimé, trois-yeux, deviendra le héros merveilleux de la séquence narrative suivante : réversibilité des rôles qui plongera la quête de soi et le désir d’agir dans de nouveaux abîmes. Le suspens vs la chute (ligne de force de la connaissance), la trajectoire vs le circuit (ligne de force de l’acte/geste). Notre modèle initial s’affine grâce à l’errance sur le fil de l’absurde qu’offre la construction du système des personnages : ritournelle organisée autour des principes narratifs de binarité et de réversibilité


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• « Le quartier de la Lumière » : La mort, le sacrifice et l’éveil… Cosmogonie.


Asano ne se contente pas de défaire ce que pas à pas il construirait, la mécanique onirique des choses ne s’oppose pas à la binaire vectorisation des trajectoires de vie. Au contraire, la marche vers l’absurde est aussi l’orchestration de chaînes de déflagrations d’être, et pour mettre en scène de telles séries, Asano met en scène la pénétration de toutes les strates de l’œuvre par l’ordonnancement poétique des choses et le travestissement du destin des êtres. Les deux angles de notre lecture mettent au jour deux schémas archaïques, mythologiques (attraction des choses / géométrie des êtres) qui se nourrissent l’un l’autre. Ces deux schémas se retrouvent percutés dans les dialogues du chat et du petit garçon. Ce sont ces dialogues qui nous permettent de lever le voile sur la cosmogonie propre du récit. En effet, si malgré le péril de l’absurde, jamais le récit ne se dilue dans la vanité des choix et si en dépit du principe de réversibilité des mondes, les personnages gardent autant de force et d’opacité, c’est grâce à la double mythologie des cycles de vie et du sacrifice du bouc-émissaire.


Le jeune Taiki, élève d’école maternelle ou élémentaire, qui avait déjà parlé de « la fin du monde » au chat au début du récit, s’endort dans le bus… « ramassage scolaire »… « J’ai un peu réfléchi et j’ai dit ceci : Je ne peux pas rester ici pour toujours ? » Alors le chat, chauffeur de bus socratique mais aussi seul animal du bestiaire traditionnel japonais à être capable de métamorphose (avec le tanuki/raton-laveur), répond au jeune garçon : « Non, ici, il ne doit rien y avoir. Pas même un sens !! Regarde ! Tu es avec le chat et du coup, une ombre s’est formée. {causalité machinique délirante et graphique, ombre volute de l’ombre terrestre} Par exemple, tu vois cette ligne a priori dépourvue de sens… ? Elle devient une frontière entre le chat et toi. {le temple redécouvert au terme de l’absurde errance} Et si on complique encore un peu la chose… {dans la triple rondeur de l’œil-miroir du chat apparaît alors le secret de l’Alcibiade de Platon ? La médiation du miroir autorise cette connaissance de soi qui se dérobe à l’intuition immédiate. Si, pas plus que l’œil, l’âme ne peut se voir elle-même, il lui est du moins possible de voir quelque chose qui lui est semblable, et par ce détour, de se connaître elle-même. Le miroir est bien cet objet vu qui permet de se voir soi-même (132d-e). L’œil d’autrui nous offre un miroir (κάτοπτρον) qui nous renvoie notre image (εἴδωλον). Le paradigme de la vision supporte l’interrogation sur la connaissance de soi : pour se connaître elle-même, l’âme doit regarder une autre âme et, plus précisément, se tourner vers le phronein qui en constitue la part divine (133c).} (d’après « Platon et le miroir de l’âme » de Daniel Giovannangeli) Voilà ce qui se passe. Miaou… »/ « Pourquoi ce garçon me connaît-il (…) c’est normal, parce que je suis toi… » La frontière est devenue l’arrête d’un cube, le chat est sur le promontoire, l’autre emporté dans la chute née de la perspective. Asano se moque bien de trouver la moindre certitude relative à la connaissance de soi. Ce qui l’intéresse ici, c’est que lorsque l’on se cherche dans le regard de l’autre, la frontière qui nous sépare de cet autre dessine les contours d’un lieu de suspens, promontoire, phare ou mirador (1), la gravité des corps (2) précipitera l’illusion d’être-pour-autrui qu’on semble avoir conquis dans la vanité du sens (3), chute et éternel recommencement (4). Ce qui l’intéresse dans son propre « Alcibiade Premier », c’est le miroitement lui-même, l’être chatoie dans les doutes de l’autre. La cosmologie d’Asano nous révèle une quête de résonnance et non de vérité (déjà condamnée par l’absurde et la binarité de la ritournelle initiale). Il s’agit pour chacun de trouver à quelle fréquence dans l’univers clos vibre l’autre, celui avec lequel on noue, tord et étrangle les possibles. Mais une fois cette vibration d’être atteinte, le promontoire devient plongeoir et la frontière qui nous sépare de l’autre devient l’arrête du cube depuis le toit duquel l’un des deux sera projeté dans l’abîme. Quelle est la place du sacrifice dans cette cosmogonie ? Rachète-t-il le cycle perdu des étoiles et des cigales ?


L’astrologie d’Asano a un peu les mêmes contours que la numérologie de Queneau, cernée entre la froide ironie de la vaine mise en abyme et le brûlant lyrisme de la gravité des corps. Les nuées d’extra-terrestres ne tomberont pas sur le toit vide de ciel des deux jeunes filles que la tendresse unit ni sur la benne ivre du mangaka et des fêtards. Les étoiles filent trop vite pour qu’un seul des trois vœux du dicton puisse être formulé, mais elles pépitent sur le ventre de celle qui donnera naissance et dessinent l’ironie-mayonnaise d’un taxi dont le toit vide de regard lui-aussi sera emporté à son tour dans le cycle sans vie des rondes de véhicules. Suspens, vertige, chute et cycle. Le schéma dévoilé prend les allures du mythe et ordonne les nouveaux archétypes des conflits intimes. Le jeune Taiki et la belle Azuma parlent « fin du monde » quand leur binôme/nemesis effraient le chat ou laissent le jenga s’effondrer. Devenir-moléculaire de nouvelles binarités propres. La ligne apparaît au moment où « la fin du monde » est annoncée mais c’est le cycle des réconciliations et de la tendresse qui restaurent la lumière. Et puis, il y a « le continent noir » de l’œuvre, la mort… Elle aussi est tiraillée entre la ligne qu’elle fait exister et les cycles infernaux qu’elle résout. La mort donne l’épaisseur du tragique à ces corps qui rebondissent les uns contre les autres et ne laisse pas les personnages se dissoudre dans l’absurdité des chaînes de désir qui spiralent autour de la gravité des choses et du vertige d’être-au-monde. La ligne et le cercle, la cosmogonie d’Asano résout les contraires dans une effusion de grâce et de terreur. La mort ne confère aucun sens aux actes, elle ne grignote pas la nuit mais elle relie les êtres et ordonnent les choses. Elle est le suspens du jeu de Jenga auquel se livrent les deux adolescents sur le toit de cet immeuble qui a déjà oublié leur fugue et négocie leur résignation. Elle est d’abord celle de la mère qui martyrisait sa fille, elle est étranglement qui libérera la jeune fille de la cage-suicide qu’est un appartement du « quartier de la Lumière ». Elle est ensuite une balle dans la tête du père meurtrier qui unifie dans le geste du jeune homme, la chute des corps précipités du haut des mondes et des distributeurs. Elle est ensuite celle de l’autre père qui solde les errances du fils, nouveau geste vain. Elle est enfin celle des oppresseurs : l’industriel qui a livré son héritière à l’espoir d’être enlevée par ceux qui viennent d’au-delà des toits et le monstre aux trois yeux, qui avait recréé un monde heureux à l’orée de la cité… Pas de sens, pas de quête, un fil labyrinthique, la mort. L’exécution du bouc-émissaire permet parfois à l’enfant de parler enfin, mais cette exécution peut elle-même être empêchée quand l’enfant est déjà coupable d’appartenir au monde, à sa sauvage complexité, au vertige de ces miroitements d’être qu’il a cru saisir, bribes de cruauté, derrière la frontière d’être-à-l’autre.


Alors le dernier récit d’enfant, … « Autrefois… Enfin, il n’y a pas si longtemps en fait, un type est mort. Mais il avait une amoureuse avec qui il s’entendait bien sans plus. Le garçon était inquiet pour sa copine qu’il avait laissée et il a demandé (au chat) … « faites-moi renaître auprès d’elle »… Et son souhait a vraiment été exaucé. La moitié de son âme a été réincarnée…en conservant les souvenirs de sa vie précédente. Mais son corps est encore celui d’un gosse. Il s’endort tout de suite, il n’aime pas le café… Sa copine, qui était vraiment traumatisé, a rencontré un autre mec et elle s’est mariée avec lui et elle est vraiment heureuse. Fin (…) L’histoire en fait se termine lorsque l’âme de l’homme est reformée et qu’elle disparaît. Je le sais. En ce moment, sur la conscience qui est ici et celle qui est là-bas, il y a comme une espèce de brouillard. Mais c’est bien comme ça, c’est la nature. (…) Puis, un jour le monde lui-même prendra fin et on pourra penser que rien n’a peut-être jamais existé. »


Alors ce dernier récit rencontrera ces mots de l’autre enfant, sur un toit où paisiblement le plus jeune s’endormira, la tête reposant sur le ventre de son aîné : « Elle est nulle ton histoire… Tu parles du roi de l’univers dans cette histoire ? Parce que, moi, je crois qu’à partir du moment où il renonce, alors, oui, le monde est fini ».


Suspens, vertige, gravité des corps, trajectoire des gestes, circuits…


Absurde, ligne et fin du monde, cycle et enfance…


Renoncer ou ne pas renoncer…


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le 10 mars 2017

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