Plongée dans les archives avec la toute première BD signée Frédéric Boilet, publiée à l’époque (1987) chez Magic Strip. Une référence à Jules Verne, auteur d’un roman portant ce titre (1882) et qui n’en finit pas d’inspirer les artistes, puisque, coïncidence, la BD sortit à la même période que le film éponyme d’Eric Rohmer sur une quête semblable (observation d’un rayon vert un peu mythique), mais avec une trame complètement différente.
Deux jeunes femmes (Catherine et Emmanuelle, inspirées de deux personnes réelles) arrivent en vue du Pic du midi et de son observatoire, dans une camionnette portant l’inscription « Le rayon vert » (accompagnée du symbole qu’on retrouve sur la couverture de l’album) qui se révèle être le titre d’un spectacle itinérant qu’elles comptent présenter dans la région, en particulier à Lourdes et Bagnères-de-Bigorre. Dans le même temps, un jeune homme nommé Grünlicht (lumière verte) arrive pour travailler à l’observatoire. On l’occupe d’abord avec de petites tâches pour qu’il se familiarise avec les lieux et le personnel. Il explore ainsi le bâtiment et ses nombreux couloirs. L’ambiance devient vite particulière, car Grünlicht poursuit son exploration à ses heures perdues et plus particulièrement le soir. Avec son antenne qui se dresse en quelque sorte pour défier le ciel, l’observatoire joue le rôle d’un paratonnerre à chaque orage qui approche. Cela permet au dessinateur de proposer une ambiance où on peut se demander si tout cela ne va pas virer au fantastique.
Mystère au Pic du midi
Le dessinateur s’amuse à brouiller un peu les pistes, en introduisant un personnage assez fantasque qui fréquente régulièrement l’observatoire du Pic du midi. Un guide semble-t-il (en dépit du violoncelle qu’il trimballe constamment dans son étui encombrant), qui vient avec des groupes et se montre grandiloquent, aussi bien dans ses gestes que dans ses phrases poétiques et mystérieuses. Amateur de théâtre, l’homme assiste au spectacle du « Rayon vert » et en profite pour donner rendez-vous aux deux jeunes femmes, le lendemain aux premières heures. Que peut-il bien leur vouloir ? Bien évidemment, la curiosité l’emportera.
Relation avec la cathédrale de Strasbourg
L’intrigue va surtout nous entraîner vers le passé de Grünlicht et son enfance à Strasbourg quand, avec sa sœur Caroline, ils s’amusaient à explorer la cathédrale, de nuit, lorsque personne ne pouvait les observer. Ils avaient notamment découvert le moyen de grimper suffisamment haut pour observer la rosace centrale en lui faisant face (magnifique dessin pleine page).
Un travail original
Si l’album fait son âge en particulier sur quelques détails de comportement (au premier abord, concernant Catherine et Manu, on se demande si ce sont deux filles, aujourd’hui le dessinateur préciserait probablement leur relation), il conserve tout son charme par les lieux montrés et par la qualité de l’inspiration du dessinateur qui a longuement muri son projet. En postface (six pages avec illustrations), il explique avoir été hypnotisé par la cathédrale de Strasbourg peu avant un séjour de deux semaines à l’observatoire du Pic du midi, comme simple observateur désireux de s’imprégner d’une ambiance particulière. À force de réfléchir pour l’histoire qu’il voulait mettre en scène, il a compris quels liens il pouvait faire entre les deux lieux. Autant dire que cela se tient. Par contre, sa façon de chercher à tirer son histoire vers le fantastique, laisse un peu dubitatif. En effet, il ne s’agit que d’une ficelle de scénariste en forme de fausse piste (réminiscences de Grünlicht, sous forme de flashes).
Une restauration justifiée
Puisqu’il s’agit du tout premier album de Frédéric Boilet qui avait alors 25 ans et ambitionnait de travailler avec Benoît Peeters qui venait de publier La fièvre d’Urbicande (1984), on remarque la qualité du découpage de l’album avec une véritable aisance pour utiliser le medium BD à sa guise (variété de tailles et de formes des vignettes, jamais gratuite, mais au service d’une narration qui maintient l’attention et l’intérêt du début à la fin). L’autre détail qui a son importance, c’est le choix de couleurs. Toujours dans la postface, Frédéric Boilet explique que pour cette édition, il a retravaillé à partir de tirages vieillis (les originaux étant perdus), restaurant les couleurs (travail cosigné Nathyi), d’abord à l’acrylique et au pinceau, ensuite par un procédé informatique. Des couleurs assez vives qui donnent un charme particulier. On sent que si son dessin est assez réaliste, Frédéric Boilet cherche un rendu original, à la hauteur de son histoire qui a séduit (l’album a figuré dans les indispensables de l’année de la BD) et lui a ouvert les portes d’une carrière dans un univers qu’il affectionne. Il a ainsi finalement pu faire équipe avec Benoît Peeters par la suite (Love hôtel – 1993 puis Tokyo est mon jardin – 1997 et Demi-tour – 1997).
Critique parue initialement sur LeMagduCiné