De mon enfance, au cours de laquelle je pouvais aimer n’importe quel livre pourvu que les mots en fussent beaux, et qui a vu mes parents n’avoir de cesse de me donner un goût de la nature dont je me demande parfois si chez moi il se distingue vraiment du plaisir bobo consistant à chercher dans les forêts une forme de ressourcement individualiste qui a bien plus à voir avec le loisir qu’avec la vie, de cette enfance, disais-je avant d’essayer de jouer à Marcel Proust, je garde le souvenir d’avoir connu très tôt beaucoup de noms d’oiseaux – au sens propre. Je serais incapable de reconnaître un gypaète barbu, un balbuzard pêcheur ou un grèbe tridactyle, je savais les reconnaître dans le Guide des oiseaux d’Europe, mais je n’avais pas oublié ce qu’est la bondrée apivore – en néerlandais wespendief – qui donne son titre à l’album.
Oui, le Retour de la bondrée vient des Pays-Bas (ou de Belgique flamande ?). Et je ne sais pas s’il y a un rapport, mais cette histoire d’un couple qui part à vau-l’eau et d’un trentenaire qui se cherche se distingue du tout-venant de la production française dans ce domaine, bien souvent plus nombriliste encore que le début de cette critique. D’autre part, j’ose à peine imaginer ce que l’approche intellectualisante du roman graphique à la française aurait fait d’une métaphore mettant en scène des abeilles et un oiseau qui en mange…
Qu’on soit bien d’accord : il ne s’agit pas ici d’un chef-d’œuvre de la bande dessinée. Mais le trait d’Aimee De Jongh a le mérite de faire naître une ambiance, propice au doute sans être tourbillonnante, et son scénario, tout bien ficelé qu’il soit, ménage, dans l’intrigue et dans les dialogues, les failles suffisantes pour que le lecteur joue son rôle de lecteur – réfléchir, s’identifier, s’agacer, douter, penser à autre chose, ne pas s’identifier, se souvenir, etc. C’est peut-être ce plaisir enfantin sans être puéril que procurent certains albums.