À ne pas confondre avec « Le Journal de mon Père » d’un certain Jiro Taniguchi chez qui le lyrisme dans l’art est plus planant et diffus dans la pudeur que ne le sont les excentriques esquisses de Taiyô Matsumoto. Cet homme-là, c’est une valeur sûre avant même d’être un auteur. Quand on a Sunny et Ping Pong à faire valoir sur le C.V, on peut clamer haut et fort qu’on est un grand. Que ses œuvres plaisent ou non, elles marquent et imprègnent l’esprit pour ne jamais quitter votre mémoire. Lecteur de moindre enthousiastes que je m'avérais devant le Samurai Bamboo, Amer Béton ou Zéro, je fus cependant contraint de reconnaître ce que les titres avaient parfois de grandiose. Des auteurs hors-les-murs comme ça, c’est à mettre sous verre et à révérer sans modération. De la qualité dans l’écriture et de l’originalité, dans le petit monde du manga contemporain, c’est une denrée précise ; une denrée vitale. On peut ne pas aimer l’eau tiède, mais quand quelques gouttes vous tombent sur la langue après une longue excursion dans le désert, vous les accueillez comme le plus infini délice qui puisse être.
Voilà donc que du Taiyô Matsumoto nous parvient, il ne reste qu’à savourer. L’avant-propos du premier tome par Stéphane Beaujean nous rapporte qu’avec ce titre bien spécifique, l’auteur, après avoir découvert la franco-belge, vit son art connaître une mutation profonde venu marquer une étape nette dans l’évolution de son parcours. Voilà qui promet. Qu’on se garde bien, cependant, d’adresser des promesses aussi réjouissantes si on ne peut les faire suivre. Le Rêve de mon Père, j’en attendais beaucoup à m’y lançant et, dès lors, peut-être en attendais-je de trop.
Du baseball. Si ce n’est de rares exceptions, je n’ai jamais pu trop m’y faire à ces mangas sportifs sur cette discipline en particulier. Même en garnissant divinement le dessin, même en y ajoutant de l’émotion, c’est presque toujours en grinçant des dents que je me suis essayé à l’exercice. Faut dire que de base… c’est tout de même chiant le baseball. C’est de ce sport que sera né mon anti-américanisme.
Le dessin de Taiyô Matsumoto – qui aura pas mal évolué tout en conservant son registre – est indéfinissable. Et pour cette raison, il faut le découvrir. Vous êtes assuré de ne jamais l’avoir vu ailleurs. Un souffle d’air frais assuré au milieu d’un genre éditorial ou le dessein tend à s’uniformiser au point où deux auteurs adoptent parfois le même trait pour mieux rendre leur dessin impersonnel et leur œuvre, d’autant plus. Ici, on retrouve un dessin enfantin où les difformités du trait sont perturbantes et intrigantes. Le monde paraît onduler sous nos yeux. Brutal et jovial, le dessin laisse transparaître une atmosphère décalée sans jamais toutefois se vautrer dans la parodie. Ce sont de somptueuses immondices qui constituent le visage de chaque personnage, travaillées avec talent et minutie. De l’art, du vrai ; on en lit ici. Et pas que pour ce qui tient aux graphismes du reste.
Maaaaaais… l’excentricité n’a que peu d’emprise sur moi cette fois. Les personnages ne sont pas particulièrement plaisants, que ce soit Shigeo, trop classique dans son rôle de gamin qui apprendra tout du baseball, ou son père, obstiné par ce sport au point d’en être supposément touchant. Parce que c’est censé être touchant un adulte insouciant qui s’accroche à un rêve. Seulement moi, cela ni ne me touche, ni ne m’effleure. Des bons personnages, Taiyô Matsumoto, ça lui vient naturellement au bout de la plume. C’est ce qui fait largement la force de ses œuvres. Mais ici, ça nous glisse dessus. D’emprise sur le lecteur, il en a beaucoup moins.
À tout le temps rire, être démesurément jovial, Hanao est lourd. On voudrait s’attacher à lui qu’il nous en préviendrait à chacune de ses balourdises.
Le périples de Shigeo et son père nous passent par-dessus la tête à des milliers d’années lumières. Leur relation n’a rien d’intéressante dans ce qu’elle déballe malgré l’incongruité de ce qui les lie l’un à l’autre. Le Journal de mon Père faisait un bien meilleur travail sur cette thématique, nonobstant le registre.
C’est une de ces œuvres ou un garçon trop sérieux, qui ne sort jamais la tête de ses bouquins, apprend grâce à un personnage un peu rustaud que la vie va très au-delà des livres. En combien de millions de supports se sera décliné ce script déjà ? Une de trop ici, je vous l’assure sans trembler. Je m’y serais vraiment ennuyé à m’y éprouver.
D’autant que l’intrigue prend le parti de présenter ce qui, objectivement, est un père irresponsable – toujours moins que Goku me direz-vous – en type formidable duquel on a énormément à apprendre. Je revis GTO, là où le type inconséquent est présenté comme un héros et le vice-principal, parce qu’il est consciencieux et tatillon, joue le rôle du méchant de service. Un regard adulte posé sur l’œuvre, que ce soit sur GTO ou Le Rêve de mon Père, nous conduit à observer la malfaçon idéologique qui y est évidente. Car on aura beau retourner le manga dans tous les sens… Shigeo a raison tout du long.
Le format narratif y est épisodique avec un mince fil conducteur pour lier les chapitres entre eux. Voilà qui ne contribue que mieux à me détourner de ce que je lis. Le récit n’a aucun souffle ni d’arguments pour porter son intrigue, alors que des tranches de vie burlesques et censément didactiques se succèdent sans trop rien laisser derrière elles.
J’ose les mots… y’a des bons sentiments partout. Hanao s’obstine à vouloir réaliser un rêve qui lui aura valu de vivre loin de son fils durant des années. Alors, dans un Nekketsu, ça passe, mais dans un Seinen qui traite plus sérieusement de la famille, c’est franchement une mauvaise leçon que celle qui nous est prodiguée.
Et cette fin téléphonée où Hanao, finalement… contre toute attente… réalise son rêve. Il n’est pas pris au sérieux par la foule mais heureusement, son fils, grâce à son enseignement – c’est-à-dire sa régression intellectuelle – vient l’encourager. De là, Hanao, au dernier moment, fait un home-run retentissant. C’est beau, c’est touchant c’est chaleureux et… c’était finalement visible depuis l’espace. Ça me fait du mal de devoir écrire ça d’un auteur aussi génial, mais pour le coup, ce bon monsieur Taiyô Matsumoto a été prévisible du point A au point Z. La trajectoire entre les deux fut d’ailleurs tristement linéaire.
Les bons sentiments ont culminé très haut, portés par une narration dont la direction était attendue de tous mais espérée de personne. Le conclusion fut navrante de tout ce qu’elle avait de mielleuse et convenue après avoir longtemps cheminé à tanguer à ne trop s’engager où que ce soit. Tout ça pour aboutir à ce que père et fils, alors qu’ils n’étaient pas sur la même longueur d’ondes, s’entendent enfin alors que Shigeo brade finalement son potentiel pour s’abrutir au niveau de son père. Tant mieux pour eux, j’imagine. Tant pis pour le lecteur en tout cas.