C'est raté. Tout est raté.
On sent dans le Sculpteur que McCloud essaye de mettre à profit toute la théorie développée dans ses essais en bande dessinée pour écrire une histoire complète qui ne serait pas seulement un exercice de style, comme il en a produit jusqu'à présent sur son site. Alors regardons le résultat.
L'histoire est celle d'un sculpteur, David Smith, qui peine à obtenir la reconnaissance qu'il convoite et qu'il pense mériter dans un milieu d'art contemporain qu'il dénigre avec cynisme. Il traine donc sa triste mine de vernissage en cocktail, supporté par un ami de longue date et quelques personnes qui apprécient son travail. Dernier membre d'une famille d'artistes décédés dans les années précédentes, il pense leur devoir de réussir. Il conclut donc un pacte avec la Mort qui lui donne le pouvoir de modifier la matière à volonté pour 200 jours en échange de son décès à l'échéance. Et c'est évidemment le même jour qu'il rencontre l'amour de sa vie.
Le premier élément gênant de la bande dessinée est sa similitude avec une histoire de Paul Auster : même milieu new-yorkais, l'intrusion du fantastique dans le monde réel, le rapport entre la mort et la perte et en sous-texte une réflexion sur la création artistique. Le personnage principal lui-même ressemble beaucoup à ceux de Paul Auster, des artistes pas célèbres mais presque qui trainent leur dépression tout au long des pages.
Mais ce qui est triste à voir, c'est que Scott McCloud n'arrive pas à retranscrire ce qu'il veut faire passer. Prenons le travail de David : il est extrêmement mauvais, au mieux médiocre. La seule remarque positive que les gens font de son travail c'est de se demander comment il l'a réalisé. Sa démarche artistique consiste à reprendre des éléments de son passé pour les mettre en scène, de manière plus ou moins abstraite. Malheureusement cette démarche, la manière dont il l'expose et le discours qu'il produit dessus sont peu convaincants, surtout dans un contexte d'art contemporain extrêmement riche et pointu concernant la sculpture (évidemment David déteste le travail de Koons et Murakami, le contraire eut été étonnant). Il fait parfois même preuve d'un classicisme mielleux et réactionnaire, avec des sculptures ultra réalistes qui n'ont d'autre valeur que sentimentale.
L'utilisation de ses pouvoirs est à l'avenant : le mec peut littéralement faire ce qu'il veut de la matière. Et qu'est-ce qu'il en fait ? Des oeuvres qui copient la nature. L'art n'est présenté que dans sa dimension de copie technique. Seules deux oeuvres méritent à mon sens d'être remarquées : la sculpture invisible (faite sous le sol de manière à ce que personne ne puisse la voir) et la boule de maillage, qui demande au spectateur de tourner autour pour vois les scènes qui se déroulent à l'intérieur (mais franchement il a piqué cette idée à une sculptrice rencontrée plus tôt dans l'histoire).
Ce qui est désolant aussi c'est le dessin de McCloud. Du point de vue du découpage, rien à dire, c'est une copie de bon élève qui étudie depuis les années 90 la narration en bande dessinée. Par contre le dessin... Les perspectives foireuses, les décors sans âme (mention spéciale aux immeubles hideux) et les morphologies aléatoires rappellent que McCloud n'est vraiment pas un bon dessinateur. Le gars dessine une histoire sur un sculpteur, multiplie les gros plans sur des mains et pas une seule fois celles-ci sont bien dessinées.
Et ce ne sont pas les derniers rebondissements et la fin tire-larmes qui viendront sauver ce gâchis en forme de pavé. Le sculpteur est raté. Je vous invite à lire Cité de verre à la place.