Après la mort d’Adèle Blanc-Sec, Tardi a besoin d’un nouveau procédé d’introduction, ainsi il met en scène un narrateur en 1933, à la veille d’une autre guerre, pour nous raconter
ce qu’il advint de l’Adèle durant la première guerre mondiale.
C’est l’occasion de magnifiques, bien que tristes et morbides, planches de la Grande Guerre : aux combats malgré eux, des soldats meurent brutalement, ou ailleurs, loin du front, lentement, de morceaux de métal fichés sous leur peau. De tous les pays de tous les continents, les mêmes crânes, et des monuments
pour dire au monde combien ce carnage fut beau, les combattants
héroïques et leur sacrifice inutile.
Une admirable parenthèse de mémoire !
Puis l’auteur revient aux travers de sa série. Avec une mise en place plus didactique qu’à l’habitude, avec du voyage (la Chine, New York et son Flat Iron Building), Tardi décrit la mainmise des industriels et des entrepreneurs financiers sur le monde, et parle avec ironie :
Ils échouèrent, l’homme étant par nature raisonnable et généreux.
En continuant d’insinuer ses opinions avec
un humour tragique,
Tardi développe un canevas bordélique, dont l’enjeu principal – le réveil de l’Adèle endormie par Lucien Brindavoine, rescapé des tranchés – n’est traité que de loin en loin, au centre d’embrouilles multiples, mais heureusement dans les décors documentés de superbes dessins, où l’artiste
équilibre réalisme et poésie.
Et je reviens sur le Flat Iron, qui apparait plusieurs fois. Tardi excelle à sublimer l’architecture.
Ce n’est pas suffisant pour sauver l’ennui du lecteur dans cet épisode un peu bâtard où, bien qu’Adèle soit concernée, elle n’agit jamais : rien d’extraordinaire pour la jeune aventurière dans les errances avinées de Lucien Brindavoine. En même temps, elle dort… C’est à la fois
la force et la faiblesse de la série :
cette héroïne forte, décidée et entreprenante, la plupart du temps subit ce qui lui arrive, et ne s’en sort qu’avec beaucoup de chance. Alors qu’elle dorme et se réveille à la fin d’une aventure où elle n’influe finalement pas reste dans l’ordre des choses.