Alim le tanneur c’est du médiéval fantastique à la sauce orientale, un peu plus original que les châteaux et les chevaliers, mais quelque chose d’assez classique tout de même : que ce soit Al-Quadim dans Donjons et Dragons, Arabian Nights dans Magic, ou plein d’autres exemples, l’orientalisme façon 1001 nuits est généralement le premier pas dès que le médiéval fantastique se fait un peu exotique. Et en général j’aime assez.


Alim est tanneur, fort logiquement il vit donc en exclu, et vu qu’il appartient à une société bien rétrograde, l’exclusion se manifeste fortement. Il réussit tout de même à survivre avec son vieux père et sa fille. Malgré son statut et sa pauvreté il ne remet pas vraiment en question la société dans laquelle il vit, manque d’éducation sans doute, aujourd’hui on abrutit les pauvres autrement que par le travail mais ça marche toujours aussi bien. Malgré cela Alim est un bon père, trop bon sans doute puisque bien qu’étant lui même pieu et respectueux des règles de la société il laisse faire à sa fille ce qu’elle veut, même quand les prêtres lui disent qu’elle blasphème.


Et blasphémer, ça a pas l’air d’être un truc cool chez eux …


Mais Alim et sa petite famille vont tomber par accident sur les restes d’un héros vénéré comme un dieu dans son pays, restes qui prouvent que l’histoire propagée par leur religion est fausse. Bien entendu sa fille va déblatérer tout ça en public pendant une grande fête religieuse. Logiquement c’est là qu’ils se font emprisonner, torturer et exécuter.


C’est un peu comme l’histoire des habits neufs de l’empereur, mais avec le détail supplémentaire que tout le monde sait bien que si quelqu’un mentionne que l’empereur est nu, cette personne se fera tuer. Et si on avait bien rappelé au gamin et à sa famille que leur vie était en jeu avant de les laisser assister au défilé de l’empereur …


Alors, j’aime bien l’idée qui déclenche cette histoire, de retrouver les restes qui dénoncent les mensonges d’une religion ça a toujours un côté plaisant. J’aime bien l’utilisation par les personnages de leur ruse plutôt que d’essayer d’employer une force qu’il n’ont pas. Il y aurait donc beaucoup pour me plaire, mais le coup de cette gamine qui encore et encore met les pieds dans le plat sacré, ça ne passe pas. Il y a des situations où ça pourrait être crédible : nouveau prêtre, nouveau roi, déménagement de la famille dans un lieu où la religion est bien plus stricte … Mais ici ce n’est tout simplement pas crédible. Et la faute est double puisque la BD prépare le lecteur en proposant dès le début une situation similaire où la gamine se fait attraper pour un blasphème léger, le père se retrouve dans une situation où il doit payer une amende, ce qui dans sa situation met la vie de sa famille en danger, et ce n’est même pas la totalité du châtiment.


Sur un point c’est réussi : le lecteur est préparé, mais du coup le lecteur se demande comment ce débile d’Alim peut laisser sa fille continuer à se comporter ainsi. Pourtant je ne suis pas pour cette idée de blasphème, bien au contraire, il est évident qu’Alim et sa famille sont victimes d’une société intolérante et que les prêtres sont ici de belles ordures, mais peut être que si on veut que son gosse survive il faut lui faire comprendre la dureté du monde, surtout quand on vit dans une société de merde comme Alim.


Bref, je suis agacé. La faute du scénario peut paraître minime, mais elle est suffisante pour me sortir complètement de l’histoire. Le reste est pourtant pas mal, dessin y compris, rien d’exceptionnel mais rien de mauvais non plus. Il est normal de projeter en partie nos valeurs du XXIe siècle sur les personnages de nos récits de fiction, mais une de ces valeurs, qui est difficilement critiquable est l’idée que ce n’est pas à la victime de s’adapter, et que le « il ou elle l’a bien cherché » ne constitue en rien une circonstance atténuante. Je suis bien d’accord avec cela, mais il faut garder en tête que tout le monde n’a pas le désir d’être martyr pour une cause, et qu’un père n’a certainement pas envie que sa fille le soit. Oublier que même si ces personnages imaginaires ont nos valeurs, ils n’en ont pas moins un instinct de préservation (ou du moins sont supposés l’avoir) est une faute que l’on voit trop souvent.


Critique tirée de mon blog.

Mattchaos
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le 3 mai 2021

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Mattchaos

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