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Le Sourire de Mao
5.3
Le Sourire de Mao

BD franco-belge de Jean-Luc Cornette et Michel Constant (2013)

L’Espoir sous le Plomb du Bonheur Imposé

Entre fable politico-sociale à l’adresse d’un jeune lectorat et polar distendu au suspense entretenu jusqu’au drame, Le Sourire de Mao s’ancre en dystopie dans une Belgique francophone repliée sur elle-même et portée par d’avides ambitions démesurées sous couvert de collectivisme idéal. Jean-Luc Cornette construit



un conte moral moderne,



efficace et intelligent, en nous rappelant qu’il n’est meilleure approche intellectuelle que celle qui s’affirme ludique, et ce récit conscientisant autour d’une romance incertaine, illustré avec douceur par Michel Constant, porte autant d’indispensable divertissement que de juste morale.


Le contexte centre la narration au cœur d’improbables magouilles politico-politiciennes à fins propagandistes – rapatrier la dépouille de Mao pour la grandeur de la nation – dans une étrange Wallonie séparée de la mère Belgique, le tout sur fond de mensonges sociétaux et d’ordre national-socialiste enrobé d’élans positiviste mais dont l’autorité ne saurait être remise en question : il y a



des airs de leçon d’Histoire Contemporaine



évidemment, mais c’est justement ce qui permet d’appuyer le propos derrière la narration et c’est finalement bien le sujet pour ce lectorat adolescent que l’auteur souhaite instruire et faire réfléchir. Le cœur du récit, simplifié, télescope les parcours de deux adolescents dans cette atmosphère particulière d’apparente liberté commune où certains n’ont pas les mêmes droits ni les mêmes espoirs selon qu’ils soutiennent ou rejettent le pouvoir en place. Ainsi, le grand leader donne une vision machiavélique et sadique de la rééducation, et par-delà de l’appartenance sociale, sous les barbelés d’un centre de confinement des jeunes délinquants :



Notre politique de réinsertion des petits délinquants mise avant


tout sur leur éducation, leur responsabilisation. Quoique
infranchissable, je ne vois en cet obstacle qu’une barrière symbolique
entre le purgatoire de la prise de conscience de leurs mauvaises
actions passées et le paradis de leur future vie honnête.



L’intelligence du récit c’est la longue séparation des histoires. Avant que Ludmilla, jeune fille embrigadée dans les mouvements de jeunesse du parti, ne rencontre Antoine, délinquant par accident, un peu plus âgé, l’auteur prend le temps de développer leurs origines et leurs caractères. Si socialement tout les oppose, il y a dans leurs attentes quelque chose de commun, un indicible léger qui marche dans le même sens : l’espoir. Ainsi, quand finalement leurs chemins se croisent au milieu de l’album, quand leurs univers s’entrechoquent, la logique de la confrontation est respectée et la naissance incertaine de leur romance prend alors plus de force encore grâce à



ce dépassement inattendu de leurs a priori,



grâce à la compréhension insoupçonnée qu’ils ont des faiblesses secrètes de l’autre. Le point d’accroche est humain. Profondément naturel dans cette société factice. Et prend d’autant plus de puissance narrative. Jusqu’à amener le dépassement des normes politico-sociales qui leur sont imposées dans ce régime autoritaire, jusqu’à leur révéler là combien la liberté ne devient réelle que quand l’amour s’en mêle et leur fait pousser



des urgences d’émancipation sous le plomb des normes établies.



Le dessin de Michel Constant est très agréable : portraits expressifs et visages doux, réalisme classique des décors et un certain dynamisme dans le découpage. L’album propose quelque chose d’assez simple mais avec un aspect novateur, moderne, sans chambouler la lisibilité. Les couleurs de Béa Constant sont douces et restituent de belles ambiances, toujours justes.


Le Sourire de Mao n’est certes pas la bande-dessinée de l’année mais le développement d’une tendre romance pour un public adolescent sur fond de réflexion politique mérite le détour : il est assez rare de voir un contexte aussi construit et aussi impliqué dans la narration quand on découvre un album destiné à l’adolescence pour le souligner. Loin de n’être qu’une lecture naïve où deux êtres opposés se retrouvent par la magie de l’amour, Le Sourire de Mao demande au lecteur un effort d’implication et d’identification qui le pousse à



questionner nos sociétés modernes et les dérives populistes actuelles de l’occident autant que la bêtise des ségrégations médiatiques et frontalières.



Une tendre histoire, un beau message et une réflexion sociétale, l’espoir sous le plomb des lois, Jean-Luc Cornette et Michel Constant livrent un bel album, intelligent et interrogateur, à mettre entre toutes les mains adolescentes pour les amener à mieux scruter les non-dits de nos actualités. Pour les aider à se construire une conscience sociétale.

Créée

le 25 avr. 2017

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