Le chant léger du clown, qui faisait du premier tome un album agréablement poétique, cède la place à la chorale improvisée de Noël au lendemain des sombres événements qui ont embrasé le quartier et divisé la population de la cité des Hauts-Vents. Les clowns désormais morts, le discret vieillard venu animer la paroisse locale tente de jouer la corde de la religion afin de rassembler la communauté.
En apparence.
Parce qu’on en apprend rapidement plus sur l’arrivée de ce prêtre aux voies étranges, plus que discutables, et aux desseins impénétrables mais certainement douteux. Dans
un décor qui nous ramène immanquablement aux émeutes populaires de 2005
autour de Paris et dans les grandes villes françaises se dessine une tentative de prise de contrôle mafio-religieuse du quartier, et le jeune clown mutique, au centre lui-même d’autres révélations plus personnelles, devient le trublion grippant dans l’engrenage minutieux des plans secrets du prêtre. Jusqu’à ce que ce dernier le désigne clairement comme la principale cible à abattre.
Beaucoup moins de poésie dans cet album où le scénario s’attache à l’approfondissement des enjeux et des mécaniques qui portent les personnages, principaux autant que secondaires. L’auteur, Luc Brunschwig, dissèque à coup de flashbacks une manipulation larvée depuis longtemps, entraînant le lecteur dans
un polar passionnant qui s’affirme avec intelligence :
pourquoi ces manipulations secrètes, et dans quel(s) but(s) ? Sans rien révéler sur les motivations du prêtre à étendre son pouvoir sur la cité, le scénario continue de développer les thématiques du premier tome, illustrant
les manipulations politiques, mafieuses et religieuses qui se disputent le contrôle des médias afin de mieux asservir les populations.
Le dessin de Laurent Hirn est toujours plaisant, confirmant le travail minutieux et réfléchi d’un montage au service du rythme de l’histoire tout en sachant habilement jouer des émotions. Les couleurs, pastels de jour et profondeurs des nuits, donnent les ambiances de chaque décor tandis que les contrastes insistent subtilement sur les disparités sociales. Les portraits sont toujours superbes, la narration fluide, et la lecture devient
un rare plaisir graphique.
Après un premier tome très réussi dans la forme autant que dans le fond, le second volume de ce Sourire du Clown est plus sombre, peut-être moins abordable, moins engageant. Là où le quotidien vécu dans une certaine cohésion relevait chacun des drames endurés dans les attentes d’un printemps toujours renouvelé, l’atmosphère se plombe sous le joug encore incertain mais déjà fort des manœuvres séditieuses de ce prêtre souriant à l’extrême pour mieux cacher son intransigeance dans l’exécution d’un plan machiavélique. Mais malgré l’ombre qui plombe un univers auparavant chargé d’espoir, c’est cette même ombre, planant sur l’avenir des personnages, des habitants de la cité, et sur les desseins du vieillard, qui tient le lecteur en éveil, dans l’attente fébrile de réponses.
Ce sont bien les mécaniques dans l’ombre qui attisent le suspense.
Matthieu Marsan-Bacheré